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Survie de dents pulpées couronnée : étude rétrospective à 10 ans

Survie de dents pulpées couronnée : étude rétrospective à 10 ans

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Survie de dents pulpées couronnée : étude rétrospective à 10 ans

Les couronnes sont parfois réalisées sur dents pulpées, depuis déjà plusieurs décennies, avec pour objectif un traitement le plus conservateur possible, et l’idée que la pulpe est le meilleur matériau pour obturer un système canalaire.

Mais, la pulpe peut subir des irritations de différents niveaux, à différents moments et à différents endroits : échauffement lors de la préparation périphérique, pénétration bactérienne intratubulaire entre les séances, agression par le ciment de scellement, défaut d’étanchéité de la couronne, etc. Autant d’éléments qui amènent à se poser des questions sur la durée de vie d’une telle thérapeutique, voire sur sa pertinence.

 

Une étude vaste concernant près de 90 000 patients, sur presque 10 ans.

Une équipe internationale, étatsunienne et égyptienne, a cherché à identifier et analyser les différents éléments pouvant amener à réaliser une thérapeutique endodontique non chirurgicale après mise en place d’une couronne unitaire.

Pour ce faire, ils ont utilisé les données de la base électronique d’une assurance santé du Wisconsin. Cette base de données concernait plus de 13 millions de bénéficiaires, inscrits entre début 2008 et fin 2017. Parmi eux, et en se référant au codage de nomenclature des actes dentaires du pays, 88 409 patients ont bénéficié de la mise en place d’une couronne, dont il était possible de déterminer la famille de matériau utilisé (tout-céramique, céramométallique, métallique).

Toutes les dents traitées endodontiquement avant mise en place de la couronne ont été exclues de l’étude. Il en a été de même pour les dents ayant été couronnées la première année de l’étude ou la première année de couverture d’assurance du patient, ceci afin d’éliminer de dents ayant pu être traitées endodontiquement au préalable.

Concernant les dents incluses dans l’étude, les auteurs ont cherché à savoir si celles-ci avaient bénéficié par la suite à un traitement endodontique, un retraitement, une chirurgie endodontique, ou si elles avaient dû être extraites. Enfin, les auteurs ont recueilli des données complémentaires concernant le praticien, l’âge du patient, le type de dent couronnée.

 

Incidence des traitements endodontiques en fonction de l’âge et du type de couronne

La grande majorité des couronnes mises en bouche était tout-céramique (41,5 %) ou céramométallique (49,64 %). Les couronnes ont été quasi exclusivement posées par des dentistes généralistes (98,78 %). La majorité des patients avait entre 51 et 70 ans (65, 27 %). Les molaires ont représenté 75,39 % des dents couronnées, les prémolaires 20, 52 % et les dents antérieures 4,09 %.

Sur l’ensemble des 88 409 dents, 4 259 ont dû être prises en charge  secondairement (4,82 %), en grande partie pour un traitement endodontique initial (72,41 %). 945 dents ont été extraites et 230 ont été retraitées endodontiquement, que ce soit par voie chirurgicale ou orthograde.

La probabilité qu’une dent couronnée soit toujours en place a été estimée autour de 96 % après 2 ans, autour de 93 % après 5 ans, et autour de 90 % après 10 ans. Ce taux de survie est corrélé à l’âge du patient, au matériau ainsi qu’à la dent concernée. En revanche, la spécialisation ou non du praticien ne semble pas montrer de corrélation.

Concernant ces facteurs de risque, l’analyse statistique a révélé que les dents couronnées simplement en métal présentent moins de risque de présenter un événement indésirable que celles couronnées avec de la céramique (Hazard Ratio = 0,73). Les patients entre 31 et 50 ans présentent plus de risque de déclarer un événement indésirable concernant leur dent couronnée que les patients dont l’âge est compris entre 51 et 60 ans (HR compris entre 1,3 et 1,45). L’article publié ne cite pas de valeur du risque dans le temps concernant les différents taux de survie entre dents antérieures, molaires et prémolaires.

 

Biais d’inclusion et de sélection

Les auteurs soulignent plusieurs limites à prendre en compte à la lecture de leurs résultats. En premier lieu, il est à noter que, malgré les précautions d’inclusion, toutes les dents n’étaient pas pulpées. Ceci explique notamment la portion de dents pour laquelle l’événement indésirable décrit était une reprise de traitement. Selon les auteurs, la faible proportion d’événements de ce type (5,4 %) suffirait à affirmer que ce défaut d’inclusion ne présente pas un impact majeur sur les résultats obtenus.

Un biais plus important est celui de la population concernée : n’incluant que des patients bénéficiant d’une assurance santé limitée à l’état du Wisconsin, elle exclue d’emblée les patients non couverts par une assurance et dont l’accès aux soins est certainement fragilisé. Aussi, les prothésistes étaient ceux ayant des contrats avec l’assurance santé, ce qui semble relativement fréquent aux Etats-Unis.

Un autre biais pourrait provenir de la mauvaise interprétation des codes de la nomenclature dentaire étatsunienne.

Enfin, les auteurs sont conscients de l’absence de données qui auraient été pertinentes, comme l’épaisseur de dentine résiduelle, la présence de restaurations précédentes, l’utilisation d’une turbine ou d’un contre-angle bague rouge, l’utilisation ou non d’un spray, le type de limite de préparation périphérique, ainsi que l’état initial de la pulpe.

 

Des difficultés d’analyse statistique

Les résultats obtenus dans cette étude sont similaires à ceux publiés dans des études précédentes en termes de taux de survie.

Même si une approche par log-rank a permis aux auteurs de comparer les taux de survie selon la spécialisation ou non du praticien, et de n’y retrouver aucune différence significative, les différences de répartition sont telles que le résultat ne devrait pas être interprétable, par défaut de puissance.

Les mêmes différences de répartition ont perturbé la mesure du HR en fonction du type de dent, expliquant l’absence de valeur du risque.

Concernant le type de matériau utilisé pour la réalisation de la couronne, les auteurs constatent que le risque augmente avec la quantité de dent retirée pour répondre aux exigences de préparation des différents types de couronne, ce qui contraste avec une revue systématique de la littérature précédente, démontrant que les couronnes tout-céramique présentaient des taux d’échec inférieurs.

Concernant les différences constatées selon l’âge du patient, de nombreux éléments rentrent en ligne de compte et peuvent perturber la lecture des résultats constatés. En effet, les dents des patients plus âgés sont plus susceptibles de se fracturer, de subir les conséquences d’un changement dans l’activité salivaire, par exemple. Chez les patients jeunes, la pulpe est plus volumineuse exposant donc à davantage de risques pendant la préparation, mais il est de surcroit possible que la mise en place d’une couronne soit consécutive à une mauvaise hygiène buccodentaire, un risque de carie élevé ou un encombrement dentaire défavorable, entre autres exemples là aussi, pouvant alors diminuer les chances de survie de la pulpe de la dent couronnée. Une étude précédente constatait qu’un plus jeune âge et une plus grande destruction des tissus dentaires avaient une forte incidence sur la nécessité de traiter endodontiquement une dent après l’avoir couronnée.

Ces éléments nous amènent à penser que, parmi les éléments manquants, la quantité de dent résiduelle est une information non-négligeable pour évaluer la survie de la pulpe d’une dent couronnée.

L’ensemble de l’article prête souvent dans sa rédaction à confusion entre la survie de la pulpe, la survie de la couronne et la survie de la dent.

 

Que retenir de cette étude rétrospective ?

Cette étude rétrospective est intéressante par la taille de son échantillon et sa durée. Certes, le panel n’est pas varié et des données ayant pu être primordiales sont manquantes, mais les résultats en restent pour grande partie interprétables. Le taux de survie de dents pulpées couronnées est important à 9 ans (>90 %), et il diminue avec l’âge et le type de couronne mis en place. Les couronnes métalliques ayant de meilleures chances de survie que celles en céramique, il est raisonnable de penser que ces différences proviennent de profondeurs de préparation distinctes. La quantité de dentine résiduelle est une information manquante, mais tout laisse à penser que cet élément est indispensable à prendre en compte pour évaluer la pérennité d’une dent couronnée pulpée.

Conserver la pulpe d’une dent avant de la couronner est une technique à prendre en compte, avec un taux de réussite relativement élevé, mais elle doit tenir compte de différents facteurs de risque dans le temps.

 

 

 

Yavorek A et coll. “The incidence of root canal therapy after full-coverage restorations: a 10-years retrospective study”, J Endod 2020 ; 46 (5) : 605-610.

 

 

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