Quel est l’effet de l’absence de débridement canalaire sur les douleurs post-opératoires pour les dents nécrosées symptomatiques ?
Introduction
Les patients n’ayant pas un dentiste ou un accès aux soins peuvent se présenter aux consultations d’urgences avec des douleurs. Le plus souvent une prescription médicamenteuse leur est donnée jusqu’à ce qu’ils puissent être traités.
Il n’y a pas d’études pour montrer si le débridement endodontique d’urgence est meilleur que l’administration de médicaments au cours de cette période symptomatique. Le but de cette étude prospective, randomisée était de comparer la réalisation du débridement par rapport à l’absence de débridement sur la douleur postopératoire pour ces patients d’urgence présentant une dent symptomatique, nécrosée et avec une image radiologique apicale associée.
Méthodes
Quatre-vingt-cinq patients présentant une douleur modérée à sévère ont été inclus dans l’étude. Les patients étaient divisés au hasard en 2 groupes: le groupe 1 a reçu l’anesthésie et le débridement endodontique, et le groupe 2 a reçu l’anesthésie mais sans débridement. A la fin du rendez-vous, tous les patients ont reçu de l’ibuprofène / acétaminophène (paracétamol).
Si nécessaire, ils pouvaient recevoir une ordonnance complémentaire. Les patients ont reçu un « journal de bord » de 5 jours pour enregistrer leurs niveaux de douleur et les médicaments pris.
Le succès a été défini par l’absence de douleur ou une douleur légère et aucune utilisation de la médication complémentaire. Les données de réussite ont été analysées à l’aide d’une régression logistique.
Résultats
Les deux groupes avaient une diminution de la douleur postopératoire et de l’utilisation des médicaments au cours des 5 jours. Le groupe débridement avait significativement un taux de réussite plus élevé que le groupe non débridement. Il n’y avait pas de différence significative entre les 2 groupes en ce qui concerne l’utilisation de la médication complémentaire.
Conclusions
Les patients recevant un débridement ou pas de débridement ont eu une diminution de la douleur post-opératoire au cours des 5 jours. Le débridement canalaire conduit à un taux de réussite statistiquement plus élevé, mais il n’y avait pas de différence significative dans la nécessité d’une utilisation de médication complémentaire.
Commentaires
L’article analysé ce mois-ci concerne une étude prospective, randomisée donc à haut niveau de preuve (cf. analyses antérieures) sur une thématique souvent délaissée la gestion de l’urgence
en endodontie. A ce stade, il est intéressant de s’attarder sur les auteurs de l’étude qui sont un groupe de praticiens américains (Université de l’Ohio) ayant conservé une pratique clinique.
Cette équipe a plusieurs publications à son actif et principalement portées sur l’anesthésie montrant leur intérêt dans la gestion de la douleur, leur expérience dans la maîtrise des protocoles
de randomisation et la gestion des échelles analogiques de douleur (VAS) et d’anxiété (échelle Corah).
Le pragmatisme américain ressort dès l’introduction de l’article car la gestion de l’urgence endodontique outre le facteur émotionnel humain se traduit par un engorgement des urgences et donc un coût important pour les services hospitaliers. Pour une ville comme Minneapolis, 10 000 visites aux urgences sont dues à des problèmes dentaires et 20% de ces visites sont des patients qui sont venus plusieurs fois pour le même problème. Les auteurs précisent que l’acte d’urgence majeur des ces services hospitaliers reste la prescription médicamenteuse. La question sous-jacente
de leur étude est donc de savoir si ces prescriptions sont suffisantes pour calmer les douleurs des patients ou si un acte opératoire de type débridement améliore significativement le ressenti
du patient ? L’étude a regroupé un échantillon de 95 personnes en bonne santé et dont le motif de consultation aux urgences étaient une douleur sur une dent nécrosée présentant une image radiographique apicale (confirmation par test électrique et radiographie). Le diagnostic, fonction de la nomenclature française, est celui de parodontite apicale aigue. La douleur et l’anxiété ressentie vis à vis des soins dentaires ont été évalués préalablement à la prise en charge et selon les échelles appropriées (VAS et Corah). Les patients pour rentrer dans l’étude devaient être exempts de signes généraux (absence de fièvre), de signes loco-régionaux (absence de cellulite) et de signes locaux (absence de fistule).
La randomisation a été effectuée entre 2 groupes :
- Le groupe débridement : anesthésie locale avec 2 carpules (2% lidocaine, 1/100000 adrénaline), mise en place de la digue, mise en forme canalaire avec irrigation à l’hypochlorite de sodium
à 3%, séchage, mise en place d’hydrocyde de calcium, pose cavit coronaire, rendez-vous donné dans 5 jours pour terminer le traitement. - Le groupe non débridement : anesthésie locale avec 2 carpules (2% lidocaine, 1/100000 adrénaline), rendez-vous donné dans 5 jours pour réaliser le traitement.
Les 2 groupes reçoivent un « package » antalgique (ibuprofène 600 mg x 1/ paracétamol 500mg x 2) à prendre en cas de douleur toutes les 6 heures. L’ibuprofène et le paracétamol sont à prendre en même temps. Si toutefois, ce package ne suffisait pas les patients pouvaient joindre une ligne téléphonique dédiée pour recevoir une médication complémentaire (hydrocodone/ paracétamol).
[ L’hydrocone n’est pas commercialisée en France car jugée trop addictive. Cette molécule synthétique est un dérivé de 2 opiacés : codéine et thébaïne. Cet antalgique pourrait être apparenté au pallier 2. ]
Un « journal de bord » de 5 jours est confié au patient afin de noter sa consommation quotidienne de médicaments et d’évaluer sur l’échelle VAS : l’intensité de sa douleur (absence de douleur, douleur légère, douleur modérée, douleur intense). Le succès est défini par une douleur absente ou légère et une non consommation d’antalgique.
L’analyse des résultats montre tout d’abord une très bonne homogénéité des groupes étudiés puisqu’aucune différence significative n’est relevée concernant l’âge, le sexe, le degré des douleurs initiales, l’anxiété, l’arcade dentaire et la position de la dent.
Une différence significative est relevée entre le groupe débridement et non débridement indiquant que le débridement tend à diminuer la douleur ressentie et à diminuer la prise antalgique.
Cette tendance à se rapprocher du succès se traduit par des facteurs prédictifs (odds ratio : 1,59 > 1) favorables au groupe débridement.
Les douleurs modérées et sévères sont principalement ressenties le premier soir de la prise en charge et le lendemain et ceci pour les 2 groupes testés. Une nette diminution de la douleur intervient dès le 3ème jour et ceci pour les 2 groupes testés. La prise antalgique est maximale le 1er jour et décroit les 4 jours suivants. 20% des patients dans le groupe débridement et 12% des patients dans le groupe non débridement ont eu recours à la médication complémentaire (pas de différence significative).
Les bénéfices de ce type d’étude sont très notables pour l’exercice clinique quotidien car les résultats permettent une application directe.
Tout d’abord, il faut noter l’intérêt certain de réaliser un débridement complet lors d’un diagnostic de parodontite apicale. Ce débridement ne consiste pas en une ouverture de chambre rapide
et en un passage d’un tire-nerf voire de quelques limes manuelles ou rotatives. L’objectif est de réaliser une mise en forme complète sous condition aseptique absolue (mise en place de la digue) telle qu’elle est effectuée dans un traitement conventionnel sans caractère d’urgence. La mise en forme vise à éliminer le tissu pulpaire nécrotique ou en voie de nécrose et à diminuer la charge bactérienne intra-canalaire. Le respect des objectifs mécaniques (conicité, respect de la trajectoire, maintien du foramen aussi étroit que possible et de sa position spatiale) et biologiques (élimination du tissu pulpaire, respect du péri apex) de la mise en forme est donc primordial. L’irrigation abondante à l’hypochlorite de sodium est bien évidemment effectuée tout au long de cette mise en forme.
Tout praticien endo-conscient voit donc dans ce débridement, la réalisation d’une mise en forme complète de la dent qu’elle soit mono ou pluriradiculée et ne peut que soulever le principal handicap….le temps. En effet, par définition l’urgence endodontique nécessite une pris en charge rapide qui peut s’avérer difficile dans un exercice clinique rempli. Si la prise en charge qui apporte le plus de bénéfice (débridement complet) n’est pas possible il peut être intéressant d’évaluer l’intérêt de passer par une phase médicamenteuse pour « refroidir » la situation d’urgence et de programmer dans un second temps le traitement endodontique.
Cette prescription médicamenteuse est certes significativement moins efficace mais n’offre pas de perte de chance pour le patient. Aucun patient de l’étude n’a subi des douleurs intenses tout
au long des 5 jours. La prise d’antalgiques de pallier 2 est similaire pour les 2 groupes étudiés. Il semblerait que la solution médicamenteuse (ibuprofène/ paracétamol) soit acceptable tant qu’un rendez-vous est donné dans un délai rapide après la consultation d’urgence.
A ce stade, il est bon de rappeler que cette étude est américaine et que les doses antalgiques prescrites dans l’étude (600 mg d’ibuprofène et 1g de paracétamol en même temps) ne sont pas applicables en France ! Donc sous ces doses, il est possible d’obtenir une analgésie si des doses plus faibles sont prescrites il ne peut être que fortement conseillé de réaliser le débridement
complet car cette solution apporte une meilleure efficacité.
Le dernier enseignement de cette étude vient de la dynamique de la baisse de douleur. Dans les 2 groupes, la baisse de la douleur intervient autour du 3ème jour. Les auteurs expliquent cette baisse par le déroulement naturel du processus inflammatoire. Notons que les auteurs ne précisent pas le type de discours délivré au patient traité. Pour éviter un biais, le discours doit dans
les 2 situations cliniques (débridement et non débridement) être assez proche en assurant du bien fondé de la solution thérapeutique choisie. Cette similarité est nécessaire pour éviter que
le patient soit influencé par l’intervention clinique de débridement.
Lors de notre exercice clinique, il est donc essentiel de transmettre ces informations au patient sous forme verbale après la mise en forme/débridement:
« Nous avons réalisé aujourd’hui un acte d’urgence visant à diminuer la charge bactérienne au sein de votre dent. Cependant le processus inflammatoire peut évoluer encore pendant 72 heures
et pour diminuer ces désagréments, je vous prescris des antalgiques (type AINS/paracatémol). Si toutefois, ceux-ci ne suffisaient pas à vous soulager, je vous laisserai nous contacter pour un antalgique plus puissant (pallier 2 type tramadol)… »
Concernant la prescription française antalgique AINS/ paracétamol, il est possible de réaliser une alternance :
- à t0 : prise AINS 600 mg ibuprofène
- à t+3h : prise 1g paracétamol
- à t+6h : prise AINS 600 mg ibuprofène à t+9h : prise 1g paracétamol
- à t+9h : prise 1g paracétamol
- …
- à t+72h
N.B : Place des antibiotiques
Un nota bene est spécialement réalisé pour la prescription des antibiotiques dans le cas des parododontites apicales sans signes généraux associés (fièvre, cellulite). Cette prescription est nulle
et non avenue.
Les auteurs ont prescrit à tous les patients une antibiothérapie car certain patient inclus dans l’étude était déjà sous antibiotique. Afin d’éliminer cette variable, une prescription systématique a été réalisée. Elle ne vient pas modifier les données obtenues car de nombreuses études ont montré l’absence d’efficacité des antibiotiques sur les douleurs pulpaires en phase inflammatoire (pulpite) et en voie de nécrose (parodontie apicale). (Henry M, Reader A, Beck M, Gallatin E. Effect of penicillin on postoperative pain and swelling in symptomatic, necrotic teeth.
J Endod 2001; 27:117–23. Fouad AF, Rivera EM, Walton RE. Penicillin as a supplement in resolving the localized acute apical abscess. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1996; 81: 590–5.)
Sebastian R, Drum M, Reader A, Nusstein J, Fowler S, Beck M. J Endod. 2016 Mar; 42(3):378-82.
Résumé et analyse : Dr. Thibault BECAVIN (Lille), Dr. Grégory CARON (Paris), Pr. Etienne DEVEAUX (Lille), Dr Anne-Charlotte Floriot (Paris),Dr. Lieven ROBBERECHT (Lille), 03/2016
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