Quel est le pronostic d’une procédure d’incision et de drainage sur des patients en endodontie ? Une étude prospective, randomisée et en simple aveugle.
What is the outcome of an incision and drainage procedure in endodontic patients ? A prospective, randomized, single-blind study
Beus H, Fowler S, Drum M, Reader A, Nusstein J, Beck M, Jatana C.J Endod. 2018 Feb; 44(2):193-201.
Introduction:
Il n’y a pas d’étude endodontique prospective pour déterminer le résultat d’une incision et
d’une procédure de drainage (I & D) pour la tuméfaction d’étiologie endodontique de patients en bonne santé. Le but de cette étude prospective, randomisée en simple aveugle était de comparer le déroulement post-opératoire d’une procédure d’I & D avec le placement de drain contre une fausse procédure d’I & D avec un placement de drain simulé après le débridement endodontique chez des patients en urgence avec des dents symptomatiques et un diagnostic pulpaire de nécrose.
Matériels et Méthodes:
Quatre-vingt-un patients adultes se présentant en urgence avec un gonflement clinique ont reçu soit une prescription de pénicilline ou, si allergie, de la clindamycine et un débridement endodontique complet, puis ont été divisés au hasard en 2 groupes de traitement: I & D avec le placement de drain ou une procédure simulée d’I & D avec placement d’un faux drain. À la fin du rendez-vous, tous les patients ont reçu une combinaison d’ibuprofène / acétaminophène et, si nécessaire, une prescription d’opioïde pour remplacer la prescription antalgique initiale. Les patients ont enregistré leur douleur et leur consommation médicamenteuse pendant les 4 jours suivant l’opération. Le succès a été défini comme une douleur post-opératoire non présente voire légère et la non consommation du médicament contenant des opioïdes. Le succès a été évalué en utilisant des mesures répétées associées à des modèles de régression logistique.
Résultats:
Les deux groupes avaient une diminution de la douleur post-opératoire et de l’utilisation des médicaments sur les 4 jours. Le groupe simulé I & D avait significativement un taux de succès supérieur à celui du groupe I & D (odds ratio = 2,00; Intervalle de confiance à 95%, 1.16-3.41). Le taux de réussite était de 45% avec l’I & D simulé et de 33% avec le I & D.
Conclusions:
Après le débridement endodontique, les patients qui ont reçu une procédure d’I & D simulée avec un faux drain le placement ont eu plus de succès que les patients qui ont reçu I & D avec le placement du drain. Les deux groupes se sont cliniquement améliorés sur 4 jours.
Commentaires :
L’article de ce mois-ci s’intéresse à un sujet dont la problématique n’est pas évidente de prime abord. Les auteurs étudient l’influence de l’incision et du drainage sur des tuméfactions (cellulite ou collection fluctuante) d’étiologie endodontique chez des patients en bonne santé. Nous pouvons tout de suite nous interroger sur le bien-fondé de cette expérimentation. Ne doit-on toujours pas pratiquer un drainage face à une collection afin de faciliter l’évacuation des tissus nécrotiques et des fluides infectieux ? L’incision et le drainage permettent d’éviter la diffusion de l’infection, le relâchement de la pression, l’abaissement de la douleur et l’introduction d’oxygène ayant une influence positive sur l’élimination de la flore bactérienne anaérobie.
C’est là où réside l’intérêt de cet article qui montre que cette notion d’incision-drainage est une notion empirique fondée sur des dogmes et non fondée sur des expérimentations cliniques.
Le postulat de départ des auteurs est de montrer que cette thérapeutique d’urgence incision-drainage a déjà été remise en cause dans d’autres disciplines médicales. Ainsi les incisions ne sont pas recommandées en chirurgie orale (recommandations américaines) face à des cellulites installées afin de ne pas diffuser l’infection.
Le but de cette étude est donc de comparer la réalisation d’une procédure incision-drainage (I&D) face à une procédure simulée d’I&D après débridement canalaire chez des patients présentant une tuméfaction faciale d’étiologie endodontique.
Les auteurs ont inclus 81 patients. Ceux-ci présentent un bon état de santé général se traduisant par l’appartenance aux catégories ASA 1 et ASA 2 (classification établie par l’Association Américaine d’Anesthésiologie). Chaque patient présente une dent nécrosée dont le diagnostic a été confirmé par l’association d’un test de sensibilité électrique et au froid. Un examen clinique exo-buccal a permis de mettre en évidence la tuméfaction qui a été classifiée en cellulite (tissus indurés) ou collection fluctuante et mesurée centrimétriquement. Un examen radiologique de type rétro-alvéolaire a complété l’examen initial. Chaque patient s’est vu confier 2 échelles d’évaluation : une pour l’anxiété (échelle de Corah) et une pour la douleur (échelle visuelle analogique VAS).
La procédure clinique a été réalisée par le même opérateur permettant d’éliminer le biais inter praticien. Elle a consisté en la réalisation d’une mise en forme canalaire complète sous digue : irrigation NaOCl 5%, utilisation du système Vortex, respect des trajectoires canalaires et de la taille foraminale initiale. La séquence de mise en forme correspond donc à une thérapeutique complète différente d’un simple drainage intra-canalaire avec passage de quelques limes…
La désinfection a été complétée par la pose d’hydroxyde de calcium intra-canalaire et l’accès endodontique a été obturé par la pose d’un cavit.
La procédure d’I&D a alors été réalisée après dépose du champ opératoire et a été randomisée :
– soit l’incision et le drainage sont réellement effectués. Incision à l’aide d’une lame 15 puis dissection des tissus à l’aide d’une pince hémostatique. L’objectif est d’initier le drainage et à l’aide d’une palpation digitale de la tuméfaction de faciliter l’écoulement. Un drain réalisé à partir d’une digue est ensuite suturé sur une des berges de la plaie.
-soit l’incision et le drainage sont simulés. Le manche du bistouri est utilisé au contact des tissus mous avec une pression similaire à celle utilisée pour l’incision. L’utilisation de la pince hémostatique est aussi simulée en appuyant sur les tissus et la palpation digitale est aussi reproduite. La pose du drain est simulée par la suture d’un morceau de digue sur la muqueuse non incisée reproduisant la surface visible d’un vrai drain.
Une prescription antalgique similaire pour tous les patients est donnée : ibuprofène 600mg (1gélule) associé à l’acétaminophène 500mg (2 gélules) à prendre tous les 6 heures jusqu’à arrêt des douleurs. Une prescription substitutive dite échappatoire, si les douleurs sont trop fortes, est donnée sous la forme d’une association opioïde/acétaminophène : hydrocodone/acétaminophène (5/325 mg, 1 à 2 gélules toutes les 6 heures).
Remarquons que tous les patients ont aussi une prescription antibiotique de 7 jours : pénicilline 500 mg ou si allergie clindamycine 300 mg à prendre toutes les 6 heures. Cette prescription antibiotique a été demandée par le comité d’éthique ayant approuvé cette étude.
Les patients sont revus à 4 jours afin de récupérer leurs journaux quotidiens (évaluation de la douleur, évaluation de la tuméfaction, prise antalgique) et de réaliser un examen clinique visant à mesurer la taille de la tuméfaction. Le succès se définit comme l’absence de douleur voire une douleur modérée avec une non prise de la médication substitutive opioïde.
Les résultats indiquent que les 2 groupes sont homogènes quant aux tableaux cliniques présents. Pas d’altération de l’état général avec une température corporelle similaire chez les patients des 2 groupes le jour de la prise en charge.
Selon les termes évoqués précédemment de succès, le groupe I&D a 33% de succès et le groupe I&D simulés a 45% de succès : la différence est significative.
La douleur diminue en fonction du temps pour les 2 groupes mais elle est toujours moins forte pour le group I&D simulé. Après 4 jours, les douleurs ont fortement diminué ainsi que le volume des tuméfactions.
La médication substitutive a été prise dans 58% des cas dans le groupe I&D et dans 44% des cas dans le groupe I&D simulé.
La satisfaction ressentie des patients a été de 100% dans le groupe I&D et de 98% dans le groupe I&D simulé : pas de différence significative.
Les données de cette étude viennent au final bousculer un dogme bien établi….l’incision et le drainage ne seraient pas nécessaire à la résolution de tuméfaction d’étiologie dentaire. Le critère déterminant serait la maîtrise de l’infection canalaire par les manœuvres de mise en forme endodontique et de désinfection. Cette étude semble aussi démontrer qu’outre la non efficacité de l’I&D cette thérapeutique peut s’avérer iatrogène car génératrice de douleur persistante. En effet, les auteurs expliquent le taux de succès moins bon de l’I&D par le fait que la dissection des tissus enflammés dans un contexte infectieux est source de douleur accrue. Même s’il ne s’agit que d’un cas, il est à noter qu’un patient du groupe I&D a montré une évolution négative ayant entraîné une prise en charge hospitalière avec injection intra-veineuse d’antibiotiques et décompression chirurgicale au niveau du cou (tuméfaction issue d’une deuxième molaire mandibulaire).
Cette étude est donc source de réflexion car elle vient questionner un geste semble-t-il évident : l’incision et le drainage d’une tuméfaction collectée. Le protocole est bien réalisé et les biais sont extrêmement limités rendant les résultats obtenus très pertinents. A ce stade, il est bon de se rappeler que la plupart des articles internationaux sont réalisés en dehors du territoire français. En l’occurrence, les auteurs sont américains et le recrutement a eu lieu à Colombus au sein de l’Ohio State University. La prise en charge des patients est différente en fonction des pays ainsi il est peu enseigné en France de laisser un drain après la réalisation d’une incision d’une tuméfaction intra-buccale. Le drainage est souvent obtenu dans la séance et la plaie se referme alors dans les 48 heures suivantes. La pose continue d’un drain peut venir compliquer la cicatrisation en laissant toujours une voie d’accès ouverte empêchant la cicatrisation des tissus dans un contexte d’herméticité.
Le deuxième aspect différentiel par rapport à un exercice français est la prescription antalgique particulièrement appuyée en ibuprofène. L’AMM française de l’ibuprofène indique que la dose maximale est de 1600 mg alors que l’usage américain va jusqu’à 2400mg. Les propriétés antalgiques et anti-inflammatoires de cette molécule vont forcément influencer la cicatrisation des tuméfactions même si ce critère n’est pas un biais dans l’étude car les 2 groupes ont reçu les mêmes prescriptions.
Alors que doit-on faire face à une tuméfaction collectée ? Tout d’abord il faut se rappeler que tous les dogmes ne sont pas forcément mauvais et que de multiples I&D ont été pratiqués avant cette étude et ceci dans l’optique de soigner au mieux son patient. De plus, les données de l’étude indiquent qu’il existe une différence dans les douleurs ressenties post-opératoires mais au bout de 4 jours, les 2 groupes présentent de bons résultats : douleurs faibles et diminution objective de la tuméfaction. L’I&D n’est donc pas une faute clinique car la résolution de la tuméfaction est obtenue mais nous pouvons penser que nos patients risquent d’avoir plus mal pendant les jours suivant cette thérapeutique.
Les principaux enseignements résident d’abord dans la gestion de l’urgence par le réel acte nécessaire (mise en forme-désinfection) et le délai attendu avant une amélioration notable des symptômes (4 jours).
Face à une dent nécrosée associée à une tuméfaction, il est donc nécessaire de réaliser une mise en forme complète ce qui peut s’avérer compliqué à mettre en pratique lors d’une séance d’urgence. L’I&D seule n’est pas la thérapeutique appropriée pour améliorer la situation. Il est à noter que les auteurs ont choisi de réaliser une interséance à l’hydroxyde de calcium et n’ont pas mentionné la raison de ce choix : volonté d’accroître la désinfection, présence d’un suintement…Quitte à faire tomber encore quelques dogmes, il serait judicieux de tester la possibilité d’obturer définitivement dans la séance si le critère de « canal sec » est présent.
La deuxième notion essentielle est le délai de 4 jours où les symptômes diminuent fortement. Cette information est facilement transposable dans nos pratiques pour rassurer le patient sur le devenir de ces lésions en indiquant que la recouvrance est longue et des améliorations notables seront visibles à 4 jours. Certaines tuméfactions pouvant être encore limitées mais présentes 7 à 10 jours post thérapeutique d’urgence.
Ce travail de recherche est au final particulièrement intéressant car il vient bousculer nos idées reçues avec un protocole peu attaquable. Cette notion de remise en cause des dogmes établis comme certitude est au final la base de toute avancée scientifique. La deuxième phase de ce type d’évolution est la reproduction de cette étude par d’autres chercheurs qui viendront appuyer ou infirmer les données présentées. Si d’autres groupes de travail en viennent aux mêmes conclusions alors la prise en charge de la tuméfaction collectée passera par l’absolue nécessité de réaliser une mise en forme complète de la dent nécrosée sans adjonction d’incision et drainage.
Résumé et analyse : Dr. Thibault BECAVIN (Lille), Dr. Grégory CARON (Paris), Pr. Etienne DEVEAUX (Lille), Dr Anne-Charlotte Floriot (Paris),Dr. Lieven ROBBERECHT (Lille), Dr Caroline Trocme 02/2018
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