Extrusion apicale des débris : une revue de la littérature d'une conséquence inhérente aux traitements canalaires.
Résumé
L’extrusion apicale de débris ou de solutions d’irrigation est fréquente lors de traitements radiculaires, et aucun instrument ni aucune technique n’a permis de résoudre ce problème jusqu’ici. Parce que les accidents infectieux aigus peuvent apparaître après irritation des tissus péri-apicaux, les méthodes d’irrigation et de mise en forme doivent minimiser le risque d’extrusion apicale, même si les accidents infectieux aigus ne peuvent être totalement évitées. De nombreux nouveaux systèmes de mise en forme et d’irrigation apparaissent et leur potentiel d’extrusion apicale a été évalué. L’objectif de cette revue de littérature était d’identifier les publications concernant l’extrusion de débris, de bactéries et de solutions d’irrigation lors d’un traitement endodontique. Une recherche PubMed, Ovid et MEDLINE a été réalisée avec les mots : ‘apical extrusion’ et ‘endodontic treatment’. Les publications analysées ont été limitées aux articles publiés entre 1982 et 2012 et aux articles traitant de l’extrusion apicale de débris, de bactéries et de solutions d’irrigation. Des articles supplémentaires issus des références bibliographiques des publications analysées ont été ajoutés. Cette revue apporte une mise à jour des connaissances sur l’extrusion apicale.
Introduction
Le traitement endodontique nécessite des procédures de mise en forme et d’irrigation. Ces procédures entraînent des extrusions de débris intracanalaires et de produits d’irrigation dans les tissus périapicaux.
Chapman et coll. (1968) ont été les premiers à vérifier ces phénomènes d’extrusion de matériel in- fecté. Van de Visse & Brilliant (1975) ont comparé les extrusions de débris avec ou sans irrigation. Ils ont constaté que l’instrumentation seule n’entraîne pas l’extrusion de débris, et que c’est l’irrigation associée à l’instrumentation qui provoque la formation d’une spirale de débris nécrotiques. Mais, il est nécessaire d’irriguer. Il est donc logique de sélectionner un protocole qui permette de diminuer l’extrusion plutôt que de se passer de solutions d’irrigation.
Le sujet de l’extrusion apicale a fait l’objet de cette revue en se limitant aux débris, aux fluides ou aux bactéries. Mais les auteurs insistent sur la réalité multifactorielle des phénomènes d’extrusion au cours des procédures endodontiques et sur la prise en compte globale de ces phénomènes : instrumentation et extrusion de débris, extrusion de solutions d’irrigation et extrusion de bactéries.
La recherche initiale a été réalisée dans PubMed (310 articles), Ovid et MEDLINE (plus de 1000 articles) avec les mots-clés ‘extrusion apicale’ et ‘endodontie’. Un deuxième filtre a limité la recherche aux articles parlant de l’extrusion apicale de débris, de solutions d’irrigation et de bactéries, due à la préparation canalaire instrumentale. L’influence de la constriction apicale et des potentiels d’irrigation des nouveaux outils (effets du type d’aiguille d’irrigation) et des nouvelles méthodes d’irrigation (pression négative), ainsi que les accidents infectieux aigus (‘flare-up’) ont été inclus dans la recherche. Finalement, 59 articles allant jusqu’en 2012 ont été analysés.
Aspects clinique et biologique de l’extrusion apicale
Lors d’un traitement endodontique, l’extrusion apicale de débris peut entraîner 2 complications majeures : l’accident infectieux aigu et des douleurs post-opératoires. En effet, l’apport soudain de débris dans une lésion chronique peut altérer l’équilibre fragile établi entre les agresseurs microbiens intracanalaires et les défenseurs de l’hôte. Ceci peut être à l’origine d’une réaction défensive importante visant à rétablir l’équilibre (Siqueira, 2003). L’intensité de la réaction est conditionnée par la charge et la virulence bactérienne. Mais les débris dentinaires et pulpaires peuvent également initier une réaction inflammatoire seuls (Torneck 1967 ; Torabonejad et coll. 1985). Le praticien peut uniquement diminuer la charge bactérienne par une approche en descente corono-apicale (‘crown-down’) traditionnelle graduelle vers le tiers apical. Wu et coll. (2006) proposent de limiter l’extrusion en jouant sur la longueur de travail. Ces auteurs proposent de conserver 1-2 mm de pulpe saine lors du traitement d’une dent vivante.
L’extrusion peut également provoquer la formation de bouchons interférant avec la longueur de tra- vail. Le passage doux d’une lime de perméabilité apicale de diamètre inférieur au diamètre de prépara- tion permet de prévenir l’accumulation de débris (Buchanan, 1987 ; Souza, 2006).
Protocoles expérimentaux utilisés dans les études sur l’extrusion apicale
Différents protocoles expérimentaux permettent l’évaluation qualitative et quantitative de l’extrusion apicale :
- Afin de quantifier les débris, les échantillons sont fixés dans un tube collecteur avec du caoutchouc (Fig. 1). Une seringue permet d’équilibrer les pressions internes et externes. Après instrumentation, les débris sont pesés (avec ou sans séchage, lyophilisation) pour être quantifiés.
Ce type d’étude présente de nombreuses limites. Tout d’abord, l’absence de simulation de pression des tissus apicaux facilite l’extrusion de fluides et de matériaux. Certains auteurs ont créé un système incluant des valves pour palier à cette limite (Psimma et coll. 2012), mais la reproductibilité du protocole reste encore à démontrer.
De plus, les résultats peuvent être altérés par la présence de polluants et/ou d’humidité dans les dispositifs de collecte, les dimensions variables du foramen
apical, par la faible masse de débris collectés, par les procédures aléatoires de séchage, et/ou par la confusion entre cristaux d’hypochlorite de sodium et débris.
La grande variabilité des dents naturelles (morphologie cana- laire, microdureté) explique le manque de standardisation des études. C’est pourquoi il est nécessaire de développer un modèle biomimétique reproductible incluant un réseau canalaire secondaire.
- Le nombre de bactéries extrudées peut être quantifié en fonction de l’instrumentation sélectionnée. faecalis est largement utilisée dans ces études car cette espèce bactérienne est simple à cultiver et pertinente dans les études endodontiques.
Les canaux des échantillons sont remplis avec une suspension bactérienne. Après instrumentation et irrigation, les bactéries sont collectées dans l’ampoule inférieure et comptées par méthode d’Unité Formant des Colonies. Le remplacement de l’hypochlorite de sodium comme solution d’irrigation par une solution saline constitue un biais de protocole considérable. De plus, une extrapolation clinique directe est réalisée à partir de la charge bactérienne, sans prendre en compte la virulence et le facteur hôte.
- De nouveaux protocoles permettent de simuler la pression des tissus apicaux et de palier aux nombreuses limites des protocoles anciens : les dents sont incluses dans un gel d’agarose dont la couleur varie avec la modification de pH (Fig. 2). La sur- face colorée est quantifiée de manière informatique. Même si cette méthode semble très prometteuse, ses limites sont inhérentes à l’analyse d’image, en particulier la détermination arbi- traire de seuils permettant de mesurer la surface colorée. De plus, le gel ne permet pas encore de différencier un parodonte sain d’une
Synthèse des études sur l’extrusion
L’étude de la littérature montre que de nombreux travaux ont été réalisés pour évaluer les instruments et les techniques endodontiques en termes d’extrusion apicale. Mais il est impossible de relier ces travaux, de par la variété des protocoles utilisés. Il est possible de faire ressortir un certain nombre de facteurs ayant un impact sur l’extrusion.
- Etudes impliquant uniquement des techniques de mise en forme canalaire
Certains auteurs ont montré que le mouvement de limage (rectiligne) manuel (‘filing (linear) motion’) provoquait plus de blocages et plus d’extrusion de débris de dentine apicale. A l’opposé, d’autres études ont montré que l’évasement du tiers cervical et les techniques en descente corono-apicale (‘crown- down’) produisaient moins d’extrusion apicale.
Etudes sur l’extrusion utilisant les soniques et les ultrasons (US)
- Comparaison instrumentation US – méthode manuelle : moins d’extrusion avec l’instrumentation US (1982).
- Comparaison (étude clinique) instrumentation endosonique – instrumentation conventionnelle : pas de différence en termes de douleurs et de flambées infectieuses aiguës post-opératoires (1982).
- Comparaison préparation par les soniques – instrumentation conventionnelle : moins d’extrusion de débris par les soniques (1987).
Etudes sur l’extrusion sur les instruments en rotation en NiTi (débris, fluides et bactéries)
- Comparaison ProFile .04 Series 29 – Limes K : les limes NiTi favorisent la remontée coronaire des débris (1998).
- Comparaison ProFile .04 Series 29 – Lightspeed, NiTi McXIM, Quantec 2000, PowR, Race, FlexMaster : moins d’extrusions avec le Profile. (1998, 2001, 2006)
- Comparaison de l’extrusion en fonction de la vitesse de rotation avec ProFile .94 Series 29 – instrumentation manuelle : moins d’extrusion avec ProFile, quelle que soit la vitesse (2004). Cela est dû au principe de la descente corono-apicale : atteinte de la zone apicale après évasement
- Comparaison ProTaper – ProFile, K-Flexofile, GT : pas de différences entre les systèmes d’un point de vue bactériologique (2005)
- Comparaison ProTaper – ProFile, HEROshaper, K3, Mtwo : extrusion de significativement plus de débris avec ProTaper (2006, 2008, 2010) ; ou pas de différence avec K3 (2010).
- Comparaison Mtwo (approche de type ‘step-back’) – Race : extrusion de plus de débris avec Mtwo (2011).
- Comparaison K3, Race – FlexMaster : extrusion de plus de débris et de bactéries en manuel ou extrusion de moins de débris et de bactéries en rotation continue. Donc 2 études avec des résultats contradictoires (2008).
Conclusion : les résultats varient selon le ‘design’ des études.
- Influence du diamètre et de la perméabilité apicale sur l’extrusion.
Afin d’assurer une standardisation du diamètre apical avec une lime, la plupart des études sur l’extrusion utilise une méthode subjective de jaugeage : insertion d’une lime d’un diamètre qui permet de dépasser au-delà du foramen. D’autres études utilisent des grossissements visuels pour examiner l’apex (1987, 1991).
Poids des débris extrudés et diamètre apical de mise en forme canalaire, longueur, degré de cour- bure du canal, taille du foramen : pas de corrélation (1995, 1998).
Extrusion et maintien de la perméabilité apicale : extrusion plus importante quand la constriction api- cale est maintenue (2001), ou extrusion de plus de débris avec l’augmentation du diamètre apical (2005).
Une étude in vitro montre que l’irrigant atteint facilement le tiers apical et est extrudé dans les tissus périradiculaires, même sans débridement apical, sans lime de perméabilité ou sans pression d’injection (2009).
Conclusion : résultats fortement variables.
- Influence de la longueur de travail sur l’extrusion.
Comparaison préparation jusqu’au foramen – à 1mm en-deçà du foramen : extrusion de plus de dé- bris quand préparation jusqu’au foramen (1982, 1991, 1998).
- Influence de la courbure canalaire sur l’extrusion.
Comparaison canaux à courbure légère – courbure modérée : pas de différences en termes d’extrusion de débris (2007).
- Influence de dessin du pas (‘pitch’) de l’instrument sur l’extrusion.
Comparaison pas court – pas moyen – pas long (lime NRT) : moins de débris avec pas court (2009).
- Influence du type de l’aiguille d’irrigation sur l’extrusion.
Comparaison aiguille standard – aiguille à évent latéral (préparation avec ProTaper) : extrusion de plus de solution d’irrigation avec aiguille standard (2011).
- Etudes sur l’extrusion de débris et de fluides par les instruments en réciprocité.
Comparaison ProTaper Universal – ProTaper F2 unique : pas de différence d’extrusion de débris (2010).
Comparaison rotation continue multi-limes – lime unique en réciprocité : moins de débris en rotation continue séquence complète (2012).
- Etudes sur le potentiel d’extrusion des méthodes et des appareils d’irrigation.
Utilisation d’un réservoir coronaire et insertion passive de l’aiguille : diminution de la quantité de solution d’irrigation poussée dans le périapex (1995).
Système EndoVac : moins d’extrusion de l’irrigant (2009, 2010, 2011) et moins de douleurs post-opératoires (2010).
Conclusion : il manque des essais cliniques à long terme pour valider ces méthodes en routine.
Conclusions
Cette revue d’articles résume les résultats des études sur l’extrusion apicale. La pertinence clinique et la fiabilité scientifique de ces études sont incertaines et il est difficile de dessiner des conclusions définitives. L’extrusion apicale ne doit pas être le facteur décisif pour choisir une méthodologie spécifique. Il existe d’autres paramètres que celui de l’extrusion pour définir le succès clinique du traitement endodontique. Mais le praticien doit toujours veiller à prévenir tous les types de dommages et d’irritation des tis- sus environnants. Une attention particulière doit être tenue dans le choix et l’utilisation des instruments, en tenant compte du diagnostic de chaque cas clinique.
Il apparaît que la méthode de ‘descente corono-apicale (‘crown-down’) semble produire moins extrusion que les méthodes manuelles conventionnelles. Le choix d’aiguilles à évent latéral, ainsi que l’absence de blocage de l’extrémité de l’aiguille peuvent permettre de prévenir l’extrusion apicale dans les méthodes d’irrigation. Le mouvement en réciprocité n’a pas fait l’objet de suffisamment d’études pour être évalué.
Une tendance émerge : développer des méthodologies d’études sur l’extrusion qui s’approchent des conditions in vivo et incluent d’autres paramètres importants (pression apicale). Quand ces méthodes seront bien établies, il en résultera des informations plus crédibles sur l’extrusion.
Commentaires
Cette revue de littérature est intéressante mais elle n’apporte pas grand-chose au praticien. Les auteurs expliquent bien que le problème de la conception des méthodologies des différentes études est récurrent dans les expérimentations en odontologie. Il est donc toujours difficile de tirer des conclusions. Du fait de la pauvreté de la majorité des études sur l’extrusion au-delà de l’apex et de l’importante variabilité des protocoles expérimentaux, les auteurs n’ont pas pu présenter de méta-analyse.
D’autre part, la plupart des études retenues et analysées dans cet article de revue sont réalisées sur des dents in vitro. Les applications en clinique (in situ) des résultats de ces études in vitro sont toujours à prendre avec beaucoup de précautions.
Les résultats de certaines études sont souvent emprunts de parti-pris pour un instrument, surtout quand nous savons que ces études sont menées par des équipes qui ont conçu elle- même l’instrument ou qui travaillent pour un industriel. Les arguments avancés par les marques sont toujours à prendre avec précautions. Le sujet de l’extrusion en est un exemple typique.
De la présente revue de littérature sur le problème de l’extrusion apicale de débris, de bactéries et/ou de solutions d’irrigation, il en ressort des conclusions et des applications liées au bon sens et aux règles de ‘bonne pratique’ :
- Utilisez la méthode du ‘crown-down’,
- Irriguez sans pression avec une aiguille à évent latéral (au moins cela),
- Préparez en restant en-deçà du foramen,
- Ne préparez pas à des diamètres trop conséquents,
- Pratiquez la perméabilité apicale, mais avec des limes manuelles de tout petit diamètre.
Apical extrusion of debris: a literature review of an inherent occurence during root canal treatment
Tanalp J, Güngör T.
International Endodontic Journal 2014;47:211-21
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