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Effet combinatoire du Ketorolac par voie nasale et du protoxyde d’azote sur le succès du bloc régional du nerf mandibulaire inférieur chez des patients en situation de pulpite irréversible symptomatique : une étude prospective, randomisée et en double aveugle.

Effet combinatoire du Ketorolac par voie nasale et du protoxyde d’azote sur le succès du bloc régional du nerf mandibulaire inférieur chez des patients en situation de pulpite irréversible symptomatique : une étude prospective, randomisée et en double aveugle.

150 150 SFE Endodontie

Effet combinatoire du Ketorolac par voie nasale et du protoxyde d’azote sur le succès du bloc régional du nerf mandibulaire inférieur chez des patients en situation de pulpite irréversible symptomatique : une étude prospective, randomisée et en double aveugle.

Effect of a combination of intranasal Ketorolac and nitrous oxide on the success of the inferior alveolar nerve block in patients with symptomatic irreversible pulpitis : A prospective, randomized, double-blind study.

Daniel Stentz, Melissa Drum, Al Reader, John Nunsstein, Sara Fowler, Mike Beck.

J Endod. 2018 Jan;44(1):9-13.

Introduction :

Des études antérieures sur des patients en situation de pulpite irréversible rapportent une augmentation du succès du bloc du nerf mandibulaire inférieur (BNAI) à l’aide d’une prémédication au Ketorolac. Le recours préventif au protoxyde d’azote est aussi associé à une augmentation du taux de succès du BNAI.

Récemment le Ketorolac en administration par voie nasale a été rendu disponible. La combinaison du Ketorolac et de protoxyde d’azote pourrait peut être augmenter le taux de succès du BNAI. Par conséquent, le but de cette étude prospective, randomisée, en double aveugle est de déterminer l’effet de cette association sur le succès anesthésique du BNAI sur des patients présentant des symptômes de pulpite irréversible.

Méthode :

102 patients en situation de pulpite irréversible sur une molaire mandibulaire et présentant des douleurs spontanées modérées à sévères participent à l’étude. Les patients sont répartis de façon aléatoire en 2 groupes et reçoivent soit 31,5 mg de Ketorolac soit une solution saline placebo par voie intranasale, 20 minutes avant l’administration de protoxyde d’azote. 10 minutes après le recours au protoxyde d’azote, le BNAI est réalisé. Après obtention d’un profond engourdissement labial, le traitement endodontique est réalisé. Le succès est défini comme la capacité à réaliser la cavité d’accès et la mise en forme (l’instrumentation) sans ou avec de faibles douleurs.

Résultats:

L’odds ratio concernant le succès du BNAI avec solution intranasale placébo/protoxyde d’azote versus Ketorolac intranasal/ protoxyde d’azote est de 1,631. Il n’y a aucune différence significative entre les groupes (p=.2523).

Conclusions:

La prémédication à l’aide de Ketorolac par voie intranasale n’augmente pas les chances de succès du BNAI en comparaison au protoxyde d’azote utilisé seul. Un complément anesthésique restera toujours nécessaire à l’obtention d’une anesthésie adéquate.

Commentaires 

En cas de pulpite irréversible symptomatique sur une molaire mandibulaire, l’obtention d’une anesthésie correcte du patient est essentielle pour permettre d’effectuer l’acte d’urgence permettant de le soulager. Le bloc régional du nerf alvéolaire inférieur est la technique qui est le plus communément mise en œuvre dans de telles situations puisque c’est la seule qui laisse place à l’obtention d’une anesthésie profonde et suffisamment durable. Lorsqu’elle fonctionne, elle laisse le temps au praticien d’apaiser son patient dans les meilleures conditions possibles et sans recours à du matériel spécifique. Cette technique anesthésique possède des résultats rapportés cependant aléatoires, encore plus dans ce type de situation clinique. Pour preuve : la littérature rapporte dans un contexte normal des taux de succès s’échelonnant entre 75 et 90% contre 20 à 70% dans un contexte d’inflammation pulpaire irréversible (Hargreaves  et al. 2002).

Face à ce constat, la recherche est active depuis de nombreuses années pour tester et proposer diverses méthodes visant l’amélioration de ces taux de succès en condition de pulpite irréversible. Trois voies de recherche sont majoritairement explorées. Elles se basent sur la compréhension actuelle que nous avons des mécanismes physiopathologiques impliqués dans les échecs observés. La première consiste à comparer les solutions anesthésiques entre elles pour établir la supériorité ou non de l’une d’entre elles et le meilleur dosage. La deuxième consiste à proposer des techniques alternatives ou complémentaires pouvant impliquer des dispositifs médicaux spécifiques. La troisième est pharmacologique via des infiltrations locales de médicament (corticoïdes ou anti-inflammatoires non stéroïdiens) ou pré-médication à l’aide de diverses molécules (anti-inflammatoires et antalgiques, mais aussi anxiolytiques) dans un délai variable avant la réalisation de l’anesthésie. La classe médicamenteuse la plus souvent testée au sein de la littérature reste celle des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), notamment l’ibuprofène qui pourrait présenter un intérêt en prise unique 1h avant l’infiltration de part son action inhibitrice sur des enzymes (Cyclo Oxygénases) participant à la synthèse locale de médiateurs pro-inflammatoires, principalement la prostaglandine.

L’étude de ce jour s’inscrit dans cette vague puisqu’on y compare l’effet sur le succès du BNAI en cas de pulpite irréversible, d’une prise d’AINS avec MEOPA et celle du recours au MEOPA seul.

Son originalité réside d’abord dans le fait que l’on teste un AINS par voie nasale et non per os, comme cela est habituellement proposé. Cette voie d’administration pourrait permettre une absorption bien plus rapide du médicament et donc une prise en charge dans des meilleures conditions. L’origininalité réside aussi dans l’utilisation du MEOPA puisque celui-ci possède des propriétés tant analgésiques qu’anxiolytiques. Un patient anxieux possède un seuil de détection et de tolérance à la douleur nettement abaissé. De plus l’anxiété possède une influence nette sur la fréquence des douleurs ressenties en peropératoire et en post-opératoire.

Le but de l’étude est de tester l’effet de la combinaison du Ketorolac par voie intra-nasale et du MEOPA sur le succès du BNAI dans un contexte de pulpite irréversible symptomatique. L’hypothèse des auteurs est que l’on puisse obtenir, par le recours à la combinaison de ces deux médications aux mécanismes d’action différents, un taux de succès global plus élevé et donc réduire au maximum les douleurs peropératoires des patients.

Si l’on rentre dans le détail du protocole :

Cent deux patients adultes sont recrutés pour l’étude.

Chaque patient présente 1 dent postérieure mandibulaire vivante (prémolaire ou molaire) pour laquelle le diagnostic de pulpite irréversible symptomatique a été posé (douleur rémanente au test au froid Endo-Ice).

Chacun doit évaluer sa douleur pré-interventionnelle à l’aide d’une échelle visuelle analogique (EVA) divisée en 4 catégories :

  • 0 mm : pas de douleur
  • 0 – 54 mm : légère douleur
  • 54-114 mm : douleur modérée
  • > 114 mm : douleur sévère 

Les critères d’exclusion sont les suivants :

Médicaux :

  • Poids < 49 kg
  • Grossesse ou allaitement
  • ATCD médical significatif
  • Problème de rein, trouble hémorragique, ulcère, pathologie cardiaque, œdème de Quincke, infection respiratoire, sinusite.
  • Dépression, schizophrénie, troubles bipolaires, prise récente de médicaments dépresseurs du système nerveux central.
  • Réactivité bronchospastique à l’aspirine, aux AINS.

Dentaire :

  • Pas de réponse au test au froid
  • Pathologie péri-radiculaire observable radiographiquement
  • Découverte d’un tissu pulpaire coronaire nécrosé pendant la réalisation de la cavité d’accès

Douleur pré-opératoire :

  • Seules les évaluations « douleur modérées » ou « sévères » sont retenues. Les patients sans ou avec douleurs légères sont exclus.

A chacun des traitements (Ketorolac / placébo à base de solution saline) est associé un nombre composé de 6 chiffres aléatoires. Chaque patient tire au hasard l’un de ces chiffres pour savoir quel traitement lui sera assigné. Pour que l’étude soit bien menée en aveugle, seuls ces chiffres apparaissent dans les tableaux de collecte de données.

Timing de l’expérimentation :

Trente minutes avant le BNAI les patients reçoivent donc : soit 31,5 mg de Ketorolac (15,75mg dans chaque narine), soit du chlorure de sodium bactériostatique à 0,9% (placébo). Les vaporisateurs sont identiques. Les patients sont priés de rapporter toutes leur sensations (désagréables ou non) pendant cette administration. Les pulvérisations sont réalisées par un assistant de recherche différent de l’investigateur principal (endodontiste) qui, lui, réalisera l’induction au MEOPA, les BNAI et les cavités d’accès/mises en forme.

Dix minutes avant le BNAI les patients reçoivent cette fois ci le MEOPA à l’aide d’un masque nasal. Pour un niveau de sédation « idéal », ils se voient administrer pendant 5 minutes le mélange de gaz titré pour atteindre une concentration de 30% de protoxyde d’azote et 50% d’oxygène.

Le BNAI est ensuite réalisé comme suit :

  • Mise en place d’un anesthésique topique (benzocaïne 20%) sur le site d’injection 60 secondes.
  • Réalisation du BNAI. Solution anesthésique utilisée : 3,6 ml de lidocaïne 2% avec vasoconstricteur (dosage 1/100.000) ; Dispositif utilisé : aiguille classique pour tronculaire (diamètre 40/100e, longueur 40 mm).

Toutes les minutes pendant les 15 minutes qui suivent l’injection, le patient doit rapporter d’éventuels signes d’engourdissement de sa lèvre inférieure. Pour tous les patients le signe de Vincent est apparu durant ces 15 minutes. Pour les patients avec molaire, dès que l’engourdissement de la lèvre est profond, un bloc du nerf buccal est réalisé pour permettre la pose du champ opératoire. On utilise à cet effet 0,4 ml de la même solution anesthésique que celle ayant servi pour le BNAI.

Quinze minutes après le BNAI, le champ opératoire est posé et la cavité d’accès réalisée. La mise en forme est réalisée (utilisation du système Vortex®) avec une irrigation à l’hypochlorite de sodium 3%. Les longueurs de travail sont déterminées à l’aide de clichés péri-apicaux et confirmées avec le localisateur d’apex. Le diamètre apical de préparation est d’au moins 30 à 40/100e de mm.

Pendant chacune des étapes (accès, mise en forme) si le patient a mal; l’acte est stoppé et il doit évaluer sa douleur sur la même échelle EVA qu’en pré-opératoire. En cas de douleur modérée à intense, une anesthésie complémentaire est réalisée (infiltration péri-apicale d’articaïne et/ou injection intraosseuse).

Pour chaque patient, les auteurs enregistrent :

  • Le sexe
  • Le type de dent
  • La profondeur d’accès à partir de laquelle une douleur est enregistrée : lors de la pénétration dans la dentine, dans la chambre pulpaire, ou dans les canaux.
  • Le succès ou non du BNAI
  • Le degré de satisfaction à l’égard du soin réalisé après le départ de l’investigateur principal, à l’aide d’une échelle visuelle prévue à cet effet.

L’analyse statistique est ensuite réalisée pour comparer les 2 groupes (placébo/MEOPA ; Ketorolac/MEOPA)

Résultats de l’étude :

  • En pré-opératoire :
  1. Aucune différence significative notée entre les 2 groupes en termes d’âge, sexe, niveau de douleur préopératoire ou type de dent :
    • Type de dent : Majorité de molaires dans les 2 groupes (86 : groupe Ketorolac / 85 : groupe placébo) et quelques prémolaires (14 dont 2 premières prémolaires groupe Ketorolac / 16 dont 6 premières prémolaires groupe placébo)
    • Niveau de douleur préopératoire : modérée à sévère pour les deux groupes
    • Sexe : plus de femmes que d’hommes dans les deux groupes
  1. Des effets secondaires sont décrits par 1 patient sur 2 dans le groupe Ketorolac contre moins d’1/3 des patients dans le groupe avec le placébo intranasal : sensations de brûlure, picotement ou légères démangeaisons passant rapidement.
  • En per-opératoire :
    • 100% des patients ont décrit le signe de Vincent après réalisation du BNAI.
    • Pour les deux groupes, la majorité des échecs a lieu lors de la pénétration dentinaire (respectivement 65% et 61% dans chacun des groupes)
  • En post-opératoire :
    • Taux de succès de 54% pour le groupe Ketorolac/MEOPA versus 46% pour le groupe placebo/MEOPA. L’odds ratio, autrement dit le rapport de la cote du succès du BNAI dans le groupe Ketorolac/MEOPA avec celle du groupe placebo/MEOPA est de 1,631. Mais aucune différence significative n’est finalement retenue entre les 2 traitements (p=0,2523)
    • Aucune influence significative du sexe du patient (p=0,3390)
    • Aucune différence significative en termes de taux de satisfaction entre les deux groupes : 96% sont totalement satisfaits pour le groupe avec Ketorolac contre 100% avec le placébo.

Conclusion des auteurs :

  • Les taux de succès (54% et 46%) obtenus dans les 2 groupes sont similaires à ceux établis dans d’autres études testant l’intérêt potentiel du MEOPA en situation de pulpite irréversible symptomatique.
  • Le Ketorolac intranasal reste bien supporté par les patients. Les effets indésirables étant très brefs et largement supportables.
  • Les résultats obtenus ne paraissent pas montrer de bénéfice supplémentaire du Ketorolac par voie nasale, donc pas de synergie d’action entre ce médicament et le MEOPA.
  • Le bénéfice du Ketorolac par voie orale a pourtant été de nombreuses fois étudié dans la littérature et toutes les études sauf une (Aggarwal et al 2010) concluent en faveur d’une augmentation significative des chances de succès du BNAI grâce à cette pré-médication. Le pouvoir de ces études peut cependant être questionné étant donné le faible nombre de sujets inclus (20-25 sujets par groupe).
  • Dans la seule étude présentant un nombre de sujets plus importants (42 par groupe) le taux de succès (peu ou pas de douleur pendant la réalisation de l’accès) avec Ketorolac atteint 76% (Saha et al. 2016)  Les auteurs concluent donc que l’absence de résultats significatifs en faveur du Ketorolac par voie nasale s’explique peut-être par le niveau global de douleur préopératoire qui est sévère dans leurs travaux, alors qu’il est modéré dans les travaux de Saha et al.
  • Malgré le fait que plus de la moitié des patients aient éprouvé des douleurs pendant les soins, les taux de satisfaction sont excellents. La prise en charge délicate de l’endodontiste et/ou l’espoir d’être soulagé par l’acte thérapeutique peuvent expliquer ces très bons taux de satisfactions.

Du point de vue du protocole, l’étude est relativement bien menée. Cependant certains manques peuvent être mis en évidence.

Ainsi une description précise de la technique et des repères utilisés pour la réalisation du BNAI aurait été intéressante même si aucune des grandes techniques décrites à ce jour (conventionnelle, Akinosi, Gow Gates) ne permet l’obtention de taux de succès satisfaisants dans un contexte de pulpite irréversible. L’une des principales causes d’échec du BNAI est en effet l’absence de repère visuels ou par palpation simple de la zone à cibler (l’orifice du canal mandibulaire) qui rend plus « hasardeux » le dépôt de la solution anesthésique. Plus la solution diffuse loin de sa cible plus les chances d’échec sont importantes. La vitesse d’injection est également importante. Plus elle est lente plus elle va contribuer à limiter la déperdition de la solution. Le manque de précision dans la technique d’infiltration peut donc être grandement responsable d’un plus grand nombre d’échec du BNAI. Le choix de l’investigateur principal de l’étude analysée aujourd’hui, c’est à dire un endodontiste, est sur ce point judicieux. Tout mène à penser que de par son expérience et sa maitrise du geste anesthésique dans ce genre de situation clinique, cette précision est en effet le mieux contrôlée possible. Elle ne peut donc pas, ou très peu avoir d’influence sur les taux de succès obtenus.

Rappelons aussi que, outre la technique anesthésique, la plus grande variabilité des résultats du BNAI par rapport à d’autres techniques anesthésiques peut également s’expliquer par deux autres causes anatomiques évidentes :

  • L’épaisseur importante de corticale dans la région postérieure mandibulaire qui rend plus difficile la pénétration de la solution anesthésique pour arriver au bon endroit.
  • L’existence possible d’une innervation accessoire des molaires mandibulaires par le nerf buccal et le nerf du mylo-hyoïdien. Des compléments anesthésiques comme celui du bloc du nerf buccal pourraient donc bloquer ces afférences et participer à une amélioration du taux de succès chez certains individus. Le bloc du nerf buccal est ainsi à considérer comme complément systématique du BNAI pour en augmenter le taux de succès.

Il est donc pertinent de la part des auteurs de l’étude de l’avoir inclus dans leur protocole.

Concernant la méthode d’évaluation du taux de succès du BNAI via l’établissement de douleurs lors de la réalisation des soins, encore une fois la méthodologie est relativement classique.

Le succès anesthésique se définit par l’installation rapide du blocage de la perception douloureuse, suffisamment profond et durable pour pouvoir réaliser un acte dentaire nécessaire. Pour l’évaluer le clinicien ne possède finalement que de peu de moyens et leur fiabilité est malheureusement questionnable. L’interrogatoire du patient sur l’engourdissement progressif des tissus mous est, seul, totalement subjectif. Et il n’y a de plus pas toujours de corrélation avec l’anesthésie pulpaire même en cas de signe de Vincent (McLean et al 1993). Par contre l’anesthésie pulpaire suit forcement cet engourdissement. Si celle-ci n’est pas obtenue dans les 15 minutes suivant l’injection, on peut conclure à un échec comme le précisent bien les auteurs de l’étude analysée.

La répétition des tests diagnostiques pulpaires comme le test au froid avant de démarrer les soins, même en étalonnant bien par un premier test sur dent saine ne peut permettre de statuer correctement sur l’état de l’anesthésie pulpaire. Selon les travaux de Modaresi et al 2005, l’absence de réponse au test au froid signe une réalisation correcte du BNAI plus qu’elle ne garantit le silence opératoire. Le seul moyen le plus logique pour tester ainsi l’efficacité du geste anesthésique reste donc bien l’acte lui-même.

La seule interrogation qui se formule à la lecture de l’étude est : pourquoi aller au-delà de la pulpotomie et procéder à la mise en forme complète ? Cela n’a pas d’influence sur les conclusions de l’étude (bénéfices ou non du recours au Ketorolac et au MEOPA sur le taux de succès du BNAI) puisque les cas de douleurs sont décrits pour grande majorité lors de la pénétration dentinaire, mais la pertinence de l’acte clinique reste questionnable.

Du point de vue des résultats, l’étude s’inscrit dans la série de travaux publiés depuis un certain nombre d’année pour tenter d’établir l’intérêt de diverses pré-médications dans l’amélioration du succès du BNAI en situation de pulpite irréversible.

Le souci de base de ces études est toujours le même : outre les difficultés anatomiques, l’inflammation pulpaire joue un rôle non négligeable dans la chute du taux de succès du BNAI sur molaire en situation de pulpite irréversible. Par la présence d’un conglomérat de molécules inflammatoires dont les prostaglandines, on observe en cas de pulpite irréversible un phénomène de sensibilisation des terminaisons nerveuses nociceptives périphériques. Cette sensibilisation se traduit localement par une synthèse accrue de canaux sodiques résistants aux anesthésiques. Elle se traduit aussi plus globalement par un phénomène d’hyperalgie et d’allodynie qui engendre cette fois-ci l’excitabilité des structures nerveuses au niveau central, et explique donc une perception de la douleur qui peut se poursuivre après suppression de la cause. Face à ce constat un nombre incommensurable d’étude a été publié pour tester l’effet de la prise ou de l’injection de médicaments anti-inflammatoires sur le succès anesthésique en cas de pulpite irréversible.

Les conclusions de ces différents travaux sont parfois contradictoires ou rapportent des taux de succès qui restent insuffisants, si bien qu’il est difficile d’en tirer de réelles applications cliniques. Nous nous retrouvons avec l’étude actuelle dans le même cas de figure. Concernant le Ketorolac, les auteurs eux-mêmes, s’accordent à dire que la plupart des études concluant à son efficacité ont un nombre de sujet restreint (puissance discutable). De plus il a été testé précédemment sur un niveau de douleur modérée et non pas intense comme attendu en cas de pulpite. On comprend le choix du médicament : en ciblant une cyclo oxygénase que l’on retrouve au niveau du système nerveux central, on peut espérer obtenir une activité analgésique centrale (contrairement à l’ibuprofène), cependant les résultats ne sont pas là. Etant donné que son efficacité semble avoir été démontrée en médecine et en chirurgie orale sur les douleurs postopératoires, peut-être pourrait-on plutôt tester son efficacité à ce niveau en endodontie plutôt qu’en pré-interventionnel ?

Pour ce qui est du MEOPA, son utilisation semble apparaître uniformément bénéfique dans la littérature, ce qui paraît en effet en harmonie avec les résultats obtenus ici. Cela montre une fois de plus que le caractère multidimensionnel de la douleur : l’anxiété en faisant partie comme précisé dans l’introduction. Même meilleurs, les taux de succès obtenus ne semblent malgré tout pas suffisants pour préconiser son utilisation routinière en situation de pulpite irréversible. Pour finir, son emploi par n’importe quel chirurgien-dentiste est réglementé puisqu’une formation est obligatoire pour tout praticien qui souhaite y avoir recours. Il existe des contre-indications à son utilisation et l’aspect « pratique » du dispositif en libéral peut être questionné.

Pour conclure, l’étude analysée ce jour n’a pas de faille spécifique en termes de protocole. Elle a été bien pensée et bien réalisée par ces auteurs qui publient énormément sur le sujet. Ses limites concernent l’applicabilité clinique des résultats obtenus.

Il n’existe à ce jour pas de solution simple pour réussir un BNAI en situation de pulpite irréversible.

Il n’existe à l’heure actuelle :

  • Aucune supériorité prouvée statistiquement intéressante en termes de solution anesthésique
  • Concernant la prémédication à l’aide d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, il semblerait que leur utilisation puisse avoir des effets bénéfiques si l’on en croit la revue systématique de Li et al (2012) publiée sur le sujet. De plus nombreux essais cliniques contrôlés, de puissance suffisante et aux protocoles standardisés sont malgré tout nécessaire pour définir le cadre et le réel intérêt de chaque molécule
  • La maitrise de la technique afin de déposer la solution au plus proche possible de sa cible est impérative; peu importe la technique employée. Là aussi il n’existe pas de supériorité réellement démontrée d’une technique par rapport à une autre. L’expérience du praticien dans son recours à une technique plutôt qu’une autre est aussi essentielle.
  • La réalisation d’un complément au nerf buccal doit être recherchée. Elle participe à une augmentation du taux de succès du BNAI en cas de pulpite irréversible quand il s’agit d’une molaire.
  • D’autres techniques anesthésiques que le BNAI existent. Il s’agit d’anesthésie intraosseuse. Parmi celles-ci, la plus intéressante est : l’anesthésie transcorticale qui implique du matériel spécifique (exemple : X-Tip, Stabident, IntraFlow, C-CLAD systems dont le Quicksleeper…) permettant de franchir l’importante épaisseur de corticale à la mandibule en postérieur pour ensuite injecter directement au sein du tissu osseux spongieux. Encore étudiés, ces dispositifs semblent permettre l’obtention de très bons résultats, avec installation très rapide de l’anesthésie même si l’encombrement du dispositif prévu à cet effet n’est pas négligeable et que des risques subsistent également.
  • Même si les études sont encore peu nombreuses, l’accompagnement du patient par technique d’hypnose pourrait permettre de réduire de façon conséquente la dose nécessaire de produit anesthésique utilisé. C’est en tous cas une piste à explorer à l’avenir.
  • La satisfaction d’un patient après toute intervention d’urgence reste étroitement liée à l’attitude qu’aura le praticien lors de sa prise en charge, et ce, même en cas d’échec anesthésique. Communication positive, et attitude empathique sont partie intégrante des clefs du succès en situation de douleur.

En plus :

Aggarwal V, Singla M, Kabi D. Comparative evaluation of effect of preoperative oral medication of ibuprofen and ketorolac on anesthetic efficacy of inferior alveolar nerve block with lidocaine in patients with irreversible pulpitis: a prospective, double-blind, randomized clinical trial. J Endod 2010;36:375–8.

Saha SG, Jain S, Dubey S, et al. Effect of oral premedication on the efficacy of inferior alveolar nerve block in patients with symptomatic irreversible pulpitis: a prospec- tive, double-blind, randomized controlled clinical trial. J Clin Diagn Res 2016;10: 25–9.

Fowler S, Drum M, Reader A, Beck M. Anesthetic success of an inferior alveolar nerve block and supplemental articaine buccal infiltration for molars and premolars in patients with symptomatic irreversible pulpitis. J Endod 2016;42:390-392.

McLean C1, Reader ABeck MMeryers WJ. An evaluation of 4% prilocaine and 3% mepivacaine compared with 2% lidocaine (1:100,000 epinephrine) for inferior alveolar nerve block. J Endod. 1993 Mar;19(3):146-50.

 

Résumé et analyse : Dr Anne-Charlotte Flouriot (Paris), Dr. Grégory CARON (Paris), Dr. Caroline Trocmé (Paris), Dr. Thibault BECAVIN (Lille), Pr. Etienne DEVEAUX (Lille,Dr. Lieven ROBBERECHT (Lille), 02/2018

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