Analyse d'articles

Pronostic de 4 thérapeutiques de maintien de la vitalité pulpaire sur des molaires permanentes

Pronostic de 4 thérapeutiques de maintien de la vitalité pulpaire sur des molaires permanentes

150 150 SFE Endodontie

Pronostic de 4 thérapeutiques de maintien de la vitalité pulpaire sur des molaires permanentes

Treatment outcomes of 4 vital pulp therapies in mature molars

Saeed Asgary, Raheleh Hassanizadeh, Hassan Torabzadeh, and Mohammad Jafar Eghbal

JOE. 2018;44:529–535

Introduction

La thérapie de maintien de la vitalité pulpaire (TMVP) est une approche biologique de l’endodontie dite minimalement invasive. Cet essai clinique randomisé a pour but d’évaluer et de comparer le succès clinique et radiographique de 4 TMVPs (coiffage pulpaire indirect [CPI], coiffage pulpaire direct [CPD], pulpotomie a minima [PM], et pulpotomie totale [PT] par l’utilisation d’un ciment enrichi en calcium pour la prise en charge des caries profondes des molaires permanentes. Certaines dents présentent des signes cliniques d’une pulpite irréversible voire de parodontite apicale.

Méthodologie

Les participants en simple aveugle (N=302) ont été distribués aléatoirement aux différentes branches de l’étude. La randomisation a été ignorée lorsqu’une exposition pulpaire n’est pas survenue après élimination complète de la carie et la dent a été transférée au groupe CPI. Les données pré et intra-opératoires dont les résultats des tests de vitalité, le statut pulpaire/périapical, le type et la localisation de l’exposition pulpaire ont été enregistrés. La douleur a été enregistrée en utilisant une échelle numérique avant l’initiation du traitement et jusqu’à une semaine post-opératoire. Les participants ont été suivis jusqu’à une année.

Résultats

Les groupes ont été homogènes en terme d’âge, de sexe, de statut marital, d’éducation, et de praticien ; les conditions préopératoires et intra-opératoires ont été similaires dans toutes les branches et n’ont pas affecté le succès à long terme. La douleur préopératoire et la parodontite apicale ont été significativement différentes entre les groupes (P < .05); cependant, ce n’était pas le cas lorsque le groupe CPI a été exclu. Après ajustement de la douleur de référence, la diminution de la douleur était continue avec un motif similaire dans tous les groupes de traitement. Les taux de succès à 3 mois et 12 mois pour les techniques de TMVP ont été comparables dans le groupe CPI (98.7% et 100%, respectivement 3 mois et 12 mois), CPD (98.4% and 94.7%), PM (98.4% et 91.4%, respectivement), et PT (93.5% et 95.5%) (P > .05).

Conclusion

Dans la prise en charge des caries profondes des molaires permanentes, les 4 TMVPs ont été associées à des pronostics cliniques et radiographiques favorables/comparables. Le statut pulpaire et péri-apical tout comme le type d’exposition pulpaire et la localisation de celle-ci n’ont pas eu d’effet sur les pronostics du traitement.

Commentaires

L’AAE (American Association of Endodontists) place la pulpectomie comme le traitement de choix des dents permanentes vitales présentant une exposition carieuse (http://www.aae.org/clinical-resources/aae-guide-to-clinical-endodontics.aspx). Cette décision repose sur un taux de succès élevé, dépassant les 90%, pour les traitements endodontiques sur dents vivantes. Néanmoins, réaliser un traitement endodontique de qualité peut s’avérer complexe comme en atteste la proportion conséquente de traitements radiculaires jugés inadéquats (>70%) (Pak et coll. 2012). Force est de constater que bien que cette thérapeutique soit hautement prédictible, elle ne garantit pas le maintien à long terme de la dent sur l’arcade et plusieurs études ont démontré l’importance de la conservation de la vitalité afin d’optimiser le pronostic de la dent sur le long terme (Caplan et coll. 2005, Schmidlin et coll. 2009).

 

L’article analysé ce mois-ci s’intéresse ainsi aux différentes thérapies de maintien de la vitalité pulpaire, sujet prolifique dans la littérature scientifique ces dernières années, et plus spécifiquement à l’influence du statut inflammatoire et péri-apical d’une pulpe vitale sur leur pronostic. Son originalité réside justement dans l’inclusion de dents atteintes d’une pulpite irréversible avec ou sans parodontite apicale associée (extension du processus inflammatoire dans le péri-apex).

 

Afin d’évaluer les taux de succès cliniques/radiographiques des thérapeutiques investiguées et secondairement de la réduction de la douleur ressentie par les patients suite à ces interventions, 302 patients ont été recrutés entre mars 2012 et mars 2013. Ces patients se sont présentés à la clinique dentaire de Imam Khomeini (Iran) et répondent aux critères d’inclusion suivants :

 

  • Etre âgés entre 12 et 75 ans, en bonne santé et sans problèmes parodontaux chroniques « persistants ».
  • Présenter une carie profonde juxta-pulpaire sur une molaire permanente mature (apex édifiés).

 

La dent incluse doit satisfaire également à certains critères spécifiques :

 

  • Présence au moins d’un contact proximal et d’une dent antagoniste.
  • Statut pulpaire normal, réversible ou irréversible. La pulpite réversible est décrite comme une douleur provoquée par un test au froid, non rémanente. Aucune douleur spontanée ne doit être rapportée.
  • La pulpite irréversible selon les auteurs correspond à réponse rémanente au test au froid.
  • Statut péri-apical, normal, parodontite apicale asymptomatique ou parodontite apicale symptomatique (réponse douloureuse à la mastication et/ou percussion/palpation).
  • Réhabilitation coronaire envisageable par une restauration directe.

 

Après réalisation de l’examen clinique et radiographique, ces patients sont aléatoirement répartis dans un des 4 groupes thérapeutiques précédemment définis.

 

Groupe PT = réalisation de l’anesthésie, excavation complète de la carie, isolation de la dent, réalisation de l’exposition pulpaire. L’élimination du plafond et de la pulpe camérale se fait à l’aide de fraises stériles sous une irrigation abondante. La chambre pulpaire est ensuite rincée avec du sérum physiologique. L’hémostase des orifices canalaires est ensuite obtenue par pression légère d’un pellet de coton imbibé de chlorhexidine à 0,2% pendant une durée approximative de 5 min. En cas d’échec, l’opération est réitérée en utilisant cette fois-ci du NaOCl à 5,25%. L’agent de coiffage (CEM cement, BioniqueDent, Tehran Iran) est ensuite placé à l’entrée des orifices canalaire sur une épaisseur d’environ 2/3 mm. Le ciment est ensuite recouvert par une couche de CVI (Vitrebond 3M Espe) et la cavité restaurée par un composite (Filtek 3M Espe).

 

Groupe PM = Une exposition pulpaire d’environ 1 mm de profondeur est réalisée avec une fraise boule diamantée stérile. L’irrigation, l’hémostase, la mise en place de l’agent de coiffage et la réalisation de la restauration coronaire sont réalisées selon le même protocole que le groupe PT.

 

Groupe CPD = L’agent de coiffage est placé au contact direct de l’effraction pulpaire. La suite du protocole est identique aux deux groupes précédents.

 

Groupe CPI = La carie juxta-pulpaire est éliminée et 2mm de CEM sont placés sur les parois pulpaires. La restauration est ensuite réalisée.

En l’absence d’exposition pulpaire mécanique / carieuse, les patients quel que soit le groupe initialement attribué se voient automatiquement redirigés vers cette thérapeutique pour des raisons médicales/éthiques évidentes.

 

Les traitements sont mis en œuvre par des praticiens ayant tous reçu un entraînement relatif aux différentes procédures réalisées dans cette étude.

 

Suivi

 

Les données démographiques retenues pour l’analyse statistique multivariée sont l’âge, le genre, le statut marital, le niveau d’éducation des patients ainsi que la dent ayant subie l’intervention. Les données pré et intra-opératoires retenues sont les réponses aux tests électrique (EPT, entre 0 et 10) et au froid, le statut pulpaire, le statut péri-apical, le type d’exposition (mécanique/carieux), la localisation (interproximal/occlusal) et enfin la durée du traitement (min). La douleur a été mesurée à l’aide d’une échelle numérique (0-9) en préopératoire, à 6, 12, 18, 24, 36, 48, 60h et à 3, 4, 5, 6 et 7 jours en postopératoire. Le test électrique ainsi que le test au froid ont été répétés à une semaine d’intervalle uniquement.

 

Le succès clinique / radiographique constitue le paramètre principal de l’étude. L’échec clinique est défini par les signes ou symptômes inflammatoires/infectieux (gonflement /abcès / fistule / et douleur non réduite par le biais pharmacologique). Un examen clinique est réalisé à 1 semaine, 3 mois et 1 année en post-traitement. Le succès radiographique est défini selon les critères suivants :

  • guérison : contour ou un espace ligamentaire normal.
  • en voie de guérison : réduction de la taille de la lésion.
  • échec : augmentation de la taille de la lésion ou lésion non évolutive.

Il est réalisé à 3 et 12 mois en post-traitement.

 

L’évaluation de la réduction de la douleur après chacune des interventions constitue le paramètre d’étude secondaire.

 

 

Les taux de succès cliniques à 1 semaine, et clinique/radiographique à 3 mois et 1 an sont comparables entre les 4 groupes de TMVP (P>0.05) :

97,4% – 98,7% – 100% pour le groupe CPI

95,7% – 98,4%- 94,7% pour le groupe CPD

95,8% – 98,4% – 91,4% pour le groupe PM

100% – 93,5% – 95,9% pour le groupe PT

 

Des différentes données analysées ; démographiques, pré-op ou intra-opératoires ; seules les douleurs préopératoires et le statut péri-apical sont sources d’une différence statistiquement significative entre les groupes (P<0.05) (douleur préop moyenne de 1,43 +/- 2,07 pour le groupe CPI vs 2,61 +/- 2,65 pour le groupe PT ; radioclarté ou élargissement ligamentaire présent chez 2% des patients CPI contre 11% pour les patients PT). Cependant après exclusion du groupe CPI, les différences observées sur ces paramètres ne sont plus significatives et s’équilibrent (P>0.05).

Après ajustement, la diminution de la douleur est continue dans tous les groupes de traitement et les différences observées ne sont pas significatives non plus (P>0.05).

Le résultat des tests cliniques initiaux (test électrique, test au froid et percussion), le diagnostic pré-opératoire, le statut péri-apical, le type d’exposition pulpaire ainsi que sa localisation ne constituent pas un facteur pronostic sur le taux de succès à 1 année (P>0.05). La différence observée pour le temps nécessaire à la réalisation du traitement entrepris est statistiquement significative (P=0.001) entre les groupes mais devient comparable après exclusion du groupe PT (P>0.05). Le taux de succès à 1 an n’est pas non plus fonction de la durée du traitement. Les résultats du test électrique ne sont pas statistiquement différents entre les 4 groupes à une semaine (P>0.05). Seule la réponse au test au froid diffère significativement (P<0.05).

 

Analyse

 

Le traitement de choix des dents permanentes matures avec une exposition carieuse constitue un sujet de controverse. Deux approches sont envisageables, l’une conservative par les TMVP, l’autre invasive par l’excision totale du tissu pulpaire et l’obturation des canaux radiculaires. Bien que les résultats des études investiguant le pronostic des TMVPs soient prometteurs, leur faible niveau de preuve constitue un frein majeur à la démocratisation de cette philosophie de soin.

Il s’agit ici de la première étude randomisée comparant directement les différentes modalités d’interventions dites minimalement invasives. La force de cette étude réside dans son originalité, dans sa rigueur scientifique (essai clinique randomisé, niveau de preuve 1b) dans le nombre important de patients recrutés (puissance élevée de l’étude) et de variables analysées. Les résultats sont prometteurs, remettant en question la terminologie diagnostique de l’état inflammatoire pulpaire et corroborent des études antérieures. En effet, on parle de pulpite irréversible lorsque le potentiel de réparation d’une dent est dépassé. La guérison n’est alors pas possible sans intervention chirurgicale. Les auteurs tendent à démontrer le contraire puisque le statut pulpaire tout comme le statut péri-apical ne semble pas constituer un facteur pronostic sur le taux de succès à 1 an quelque soit l’intervention envisagée. En effet une contamination bactérienne est le plus souvent à l’origine d’une inflammation du tissu pulpaire. Cette inflammation devrait donc pouvoir se résoudre et guérir si la source de contamination est éliminée et que l’intégrité de la restauration coronaire est assurée afin de prévenir toute recontamination ultérieure.

 

Plusieurs imprécisions, facteurs de confusion et limitations sont à déplorer et restreignent la généralisation des résultats obtenus :

 

  • Les définitions de la pulpite irréversible et de la parodontite apicale ne font pas consensus. Les patients dits en pulpite irréversible dans cette étude présentent seulement une réponse prolongée au test au froid. Aucune notion de niveau de douleur ou de douleur spontanée n’est indiquée. Les patients ayant ressenti une douleur sévère et persistante et donc en pulpite irréversible ont par ailleurs été recensés comme un échec et ont reçu un traitement endodontique. Une palpation apicale positive, acceptée dans cette étude, témoigne d’un abcès apical aigu et donc d’un processus infectieux et non plus seulement inflammatoire. Par ailleurs, certains patients présentant une réponse initiale négative au test au froid ou électrique ont été retenus dans l’étude. Les auteurs n’explicitent pas ce qu’ils entendent par carie profonde et les critères utilisés afin de juger de la possible effraction pulpaire à venir.
  • Aucune indication sur la qualité et la prise des clichés radiographique n’est rapportée. Les clichés ont-ils été réalisés avec un angulateur ? Les radiographies sont-elles superposables afin de pouvoir statuer sur l’évolution des lésions en présence ? Les évaluateurs ont-ils été calibrés pour la lecture des clichés radiographiques ?
  • Déterminer et comparer l’efficacité antalgique d’une ou plusieurs procédures thérapeutiques n’est pas si aisé ce qui se traduit dans la littérature scientifique par une multitude d’indicateurs et méthodes utilisés sans réel consensus. L’utilisation de valeurs numériques brutes, comme c’est le cas dans cette étude, peut conduire à des erreurs analytiques et certains auteurs recommandent leur expression en pourcentage afin d’en limiter les biais (Williamson et Hoggart, 2005 ; Farrar et col. 2000). Les données obtenues lors des évaluations de la douleur ne sont ni normalement distribuées ni continues. L’utilisation des valeurs moyennes afin de juger de la supériorité d’une procédure sur une autre ne peut pas rendre compte de la distribution des valeurs individuelles. En effet, les différences observées entre les moyennes calculées pourraient soit refléter des changements importants chez quelques patients seulement soit des changements plus modestes chez un plus grand nombre (Farrar et col. 2000).
  • L’échelle d’évaluation de la douleur utilisée (échelle numérique) n’est pas une échelle de mesure reproductible (Van Tubergen et col. 2002). Une échelle visuelle analogique aurait été préférable. Afin de pouvoir quantifier correctement le niveau de douleur actuel ressenti, les patients ont également besoin d’accéder à l’historique des valeurs précédemment énoncées (Williamson et Hoggart, 2005). Les auteurs précisent avoir ajusté la douleur postopératoire mais ne donne aucune indication sur la nature de cet ajustement et sur le pourquoi de celui-ci.
  • Les prescriptions post-opératoires n’ont pas été standardisées ce qui peut constituer un facteur de confusion lors de l’évaluation de la douleur sur une semaine par les praticiens.
  • La multitude d’opérateurs impliqués dans cette étude peut également constituer un biais. Les auteurs affirment que ces derniers n’ont pas influencé les résultats mais les données ne sont pas présentées.
  • Il est indiqué que le choix de l’opérateur n’a pas eu d’influence sur les résultats mais les données ne sont pas disponibles.
  • Il aurait été intéressant d’évaluer la qualité de la restauration coronaire au cours des différents contrôles afin de déterminer si une perte d’étanchéité aurait pu être à l’origine d’une recontamination et expliquer des échecs plus tardifs.
  • Certains contrôles ont été effectués par téléphone. Comment dès lors juger de l’évolution radiographique ? La proportion de patients concernée n’est pas renseignée.
  • Les auteurs, afin de calculer le pronostic des différentes procédures, éliminent du pool de patients considérés, les perdus de vue ainsi que les échecs. Ceci abouti à un taux de succès à une année plus important que celui à 1 semaine. Cette méthode peut se justifier lors du recours à des courbes de survie de Kaplan-Meyer lorsque les patients sont suivis sur une durée importante ce qui n’est pas le cas dans la présente étude et peut être source de confusion.
  • Enfin le transfert de patients vers le groupe CPI en cours de protocole a affecté la randomisation comme en atteste les résultats statistiques.
  • Les critères utilisés pour déterminer le succès clinique/radiographique ne renseignent en rien sur la vitalité/santé du tissu pulpaire. Seul un examen histologique peut apporter une réponse tranchée.
  • Les écart-types et intervalles de confiance ne sont pas toujours renseignés afin de juger de la prédictibilité.
  • La période d’observation est relativement courte (1 année), ce qui ne répond pas à l’une des préoccupations principales des patients : le pronostic à long terme.

 

 

Bien que non dépourvue de limitations, cette étude reste intéressante car elle étudie l’influence de facteurs pronostics potentiels : temps d’hémostase, type et localisation de l’exposition pulpaire, temps de traitement, statut pulpaire et péri-apical initial etc. Elle bouscule un dogme établit de longue date (impossibilité de conservation du tissu pulpaire pour les dents atteintes de pulpite dite irréversible) et soulève la nécessité de revoir notre terminologie diagnostique.

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