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Efficacité de l’articaine versus la lidocaine en injection complémentaire intra ligamentaire après échec d’un bloc du nerf alvéolaire inférieur : Une étude randomisée en double aveugle.

Efficacité de l’articaine versus la lidocaine en injection complémentaire intra ligamentaire après échec d’un bloc du nerf alvéolaire inférieur : Une étude randomisée en double aveugle.

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Efficacité de l’articaine versus la lidocaine en injection complémentaire intra ligamentaire après échec d’un bloc du nerf alvéolaire inférieur : Une étude randomisée en double aveugle.


Efficacy of Articaine Versus Lidocaine administred as supplementary intraligamentary injection after a failed inferior alveolar nerve block : A randomized Double-blind Study.

Aggarwal V, Singla M, Miglani S, Kohli S.

J Endod. 2019 Jan;45(1):1-5

 

Introduction:

La présente étude évalue comparativement l’efficacité anesthésique de l’articaine 4% versus la lidocaine 2% utilisées en injection intra ligamentaire supplémentaire après échec d’un bloc du nerf alvéolaire inférieur

Méthode:

106 patients adultes en situation de pulpite irréversible sur une première ou deuxième molaire mandibulaire reçoivent un bloc du nerf alvéolaire inferieur (BNAI) avec une solution de lidocaine 2% adrénalinée au 1 :80.000e. La douleur pendant le traitement endodontique est mesurée à l’aide de l’échelle analogique visuelle (EVA) Heft-Parker. 82 patients en échec anesthésique sont répartis au hasard dans 2 groupes de traitements : 1 groupe recevant une injection intra-ligamentaire de 0,6 ml/par racine avec une solution d’articaine 4% adrénalinée au 1 :100.000e, le second avec de la lidocaine 2% adrénalinée au 1 :80.000e.

Le traitement endodontique est repris. Le succès après la première injection ou une injection complémentaire est défini par l’absence de douleur ou l’existence d’une douleur modérée pendant la réalisation de la cavité d’accès et l’instrumentation canalaire. Le rythme cardiaque des patients est monitoré à l’aide d’un oxymètre de pouls. Les taux de succès anesthésiques sont analysés à l’aide du test de Pearson Chi-deux modifié avec un risque α de 5 %. Les modifications de fréquence cardiaque sont analysées à l’aide du test t.

 

Résultats:

Les patients recevant des injections intra ligamentaires supplémentaires d’articaine 4% ont un taux de succès anesthésique de 66%, contre 78% pour les patients ayant reçues celles avec la lidocaine 2%. La différence n’est pas statistiquement significative. (p = .2). Les deux solutions n’entrainent pas d’effets significatifs sur les modifications de fréquence cardiaque.

Conclusions:

L’articaine 4% comme la lidocaine 2% améliorent les taux de succès anesthésiques après échec d’une première injection, sans différence significative entre elles.

Commentaires :

La gestion d’un patient atteint de pulpite sur une molaire mandibulaire est un challenge pour le chirurgien-dentiste. L’obtention du silence opératoire nécessaire à la réalisation de l’acte d’urgence visant à soulager le patient est très difficile à atteindre dans ce cas précis. Le BNAI possède des taux de succès de base relativement aléatoires, d’autant plus en cas d’atteinte inflammatoire pulpaire : seuls 10 à 25% d’échec sont à attendre dans un contexte normal, contre 30 à 80% dans un contexte d’inflammation irréversible (Hargreaves  et al. 2002).

L’erreur technique de réalisation du BNAI fait partie des causes explicatives, mais aussi l’existence de patients porteurs de canaux sodium dits TTX résistants, qui seraient surexprimés en situation d’inflammation.

Pour pallier à ces difficultés, différents compléments anesthésiques peuvent être réalisés, dont l’anesthésie intra-ligamentaire. Elle consiste en une injection de la solution anesthésique dans le sulcus de la dent en pulpite, puis en sa diffusion au travers des perforations de la lamina dura vers les espaces médullaires de l’os spongieux. Il s’agit donc en fait aussi d’une infiltration osseuse, mais moins invasive.

L’étude de ce mois s’inscrit dans cette voie de la recherche scientifique qui tente d’améliorer l’efficacité anesthésique dans le contexte d’une pulpite irréversible sur molaire mandibulaire. En testant/comparant certaines solutions, et/ou techniques complémentaire on essaye d’élaborer la meilleure stratégie possible pour obtenir de façon reproductible le silence opératoire chez ces patients. Ici, on teste l’intérêt du recours aux injections intra-ligamentaires avec deux types de solutions anesthésiques différentes pour obtenir un succès anesthésique après échec d’un BNAI. L’originalité de cette étude réside dans la comparaison entre plusieurs solutions anesthésiques pour l’anesthésie intra ligamentaire qui est rarement faite dans le cadre d’une pulpite irréversible, et encore moins sur molaire mandibulaire. On dispose donc de peu de données sur le sujet.

 

Du point de vue du protocole :

Il s’agit d’une étude clinique randomisée et en double aveugle. Les objectifs des auteurs sont :

  • objectif principal : évaluer « l’échec ou le succès » anesthésique. Le succès consiste en l’absence ou la présence de douleurs modérées (score < ou = à 54 sur EVA Heft-Parker) lors de la réalisation de la cavité d’accès et de l’instrumentation canalaire.
  • objectif secondaire : évaluer la fréquence cardiaque des patients après les injections.
  • hypothèse nulle : les 2 solutions anesthésiques n’ont pas d’effet sur le succès anesthésique, ni sur la modification de la fréquence cardiaque.

106 patients sont recrutés au total dans l’une des facultés de dentisterie de New Delhi en Inde. Les critères d’inclusions sont les suivants :

  • Préopératoires :
    • lié au patient : patient ASA I ou II, capacité de compréhension de l’échelle analogique visuelle
    • lié à la dent : molaire mandibulaire symptomatique avec lésion carieuse ; existence d’une réponse positive et prolongée au test au froid ainsi qu’au test électrique.
  • Peropératoire : tissu pulpaire vivant apparent lors de la réalisation de la cavité d’accès.

Les critères d’exclusions sont les suivants :

  • liés au patient : allergie ou contre-indication à l’utilisation des solutions anesthésiques utilisées dans l’expérience; patiente enceinte ou allaitant ; recours actuel ou passé aux stupéfiants ou à tout traitement médicamenteux pouvant influer sur sa perception de la douleur.
  • liés aux dents : douleur active étendue à plus d’une dent, racines fusionnées, évidence radiographique de l’existence d’une racine surnuméraire, restaurations larges avec marges débordantes, inflammation gingivale, présence d’une couronne, poche parodontale profonde.

Déroulement de l’expérimentation :

  • Explication au patient du traitement allant être administré et du fonctionnement de l’EVA. Succès anesthésique = « pas de douleur » ou toute douleur rapportée dans la tranche de valeur 1-54 mm
  • T0 : Réalisation du BNAI
    • 8 ml d’une solution de lidocaine 2% adrénalinée au 1: 80000e
    • Technique Halsted avec dépôt de la solution anesthésique lent (120 secondes)
  • T + 10 minutes : vérification du signe de Vincent; exclusion de 5 patients ne présentant pas d’anesthésie labiomentonnière (signe d’échec certain du BNAI)
  • T + ? minutes : pose du champ opératoire et réalisation de l’accès. En cas de douleur, le patient lève la main et recours à l’EVA pour la mesurer. Pour 82 patients, on constate un échec du BNAI par le biais de l’EVA (> 54 mm : douleur modérée à intense).
  • Retrait de la digue, désinfection du site et réalisation d’injections intra-ligamentaires complémentaires pour les 82 patients considérés en échec anesthésique :
    • Les carpules sont masquées si bien que ni l’investigateur ni le patient ne sait à quel groupe il appartient (lidocaine 2% avec 1/100000e d’adrénaline OU articaine 4% avec 1/80000e d’adrénaline).
    • La même technique est utilisée à chaque fois : seringue sous pression (Deosy Osung, Pearland, TX), aiguille Septoject (Septodont) diamètre externe de 30 centièmes. La première injection se fait en mésial de la dent à traiter sous forte pression. Sans résistance ressentie, l’aiguille est repositionnée et l’injection répétée. L’aiguille est maintenue sous pression durant 20 secondes après l’injection. La même procédure est réalisée en distal.
    • La même quantité de produit est injectée par racine : 1,2 ml en tout
  • Mesure de la fréquence cardiaque dès la fin de l’injection intra-ligamentaire distale par intervalle de 15 secondes, et ce pendant 5 minutes.
  • Remise en place du champ opératoire et poursuite de la procédure endodontique (cavité d’accès, instrumentation) en évaluant la douleur ressentie par chaque patient lorsqu’il lève la main et la mesure grâce à l’EVA.

Résultats et conclusion des auteurs :

  • Le taux d’échec du BNAI est de 81% dans cette étude.
  • Le succès anesthésique est obtenu pour 66% des patients du groupe « articaine 4% » après injection intra-ligamentaire complémentaire, contre 78% pour le groupe « lidocaine 2%. Aucune différence significative n’est cependant mise en évidence entre les deux groupes.
  • Pas de changement significatif de la fréquence cardiaque moyenne après l’injection intra ligamentaire pour les patients des deux groupes.

 

L’étude analysée est un essai clinique randomisé en double aveugle. Elle est menée par une équipe Indienne qui publie énormément dans le domaine de l’anesthésie (Aggarwal et coll). Le protocole est bien détaillé et plutôt bien réalisé. Le choix de l’EVA pour l’évaluation de la douleur en per-opératoire est classique et fiable. Il aurait pu être intéressant de mesurer la douleur ressentie par chaque patient avant intervention et peut être de vérifier s’il existe une relation entre l’importance de la douleur préopératoire et l’obtention ou non d’un succès anesthésique à l’aide de ces deux solutions injectée en intra-ligamentaire.

Les critères d’évaluation du succès anesthésique sont clairs.

L’efficacité de l’anesthésie par infiltration dépend principalement de son bon usage et du respect de la technique. Pour le BNAI, on peut regretter l’absence de détail de la technique utilisée (seul son nom est cité) ainsi que le matériel ayant servi à réaliser l’infiltration. Le rappel au nerf buccal et au nerf lingual n’est à priori pas mentionné, il participe cependant aussi au succès du BNAI et explique peut-être en partie le taux d’échec énorme rapporté dans cette étude.

De même, le temps exact attendu après établissement du signe de Vincent pour débuter les soins n’est pas précisé. Or une durée d’au moins 15 à 20 minutes est indispensable pour pouvoir être en mesure de conclure ou non à l’échec anesthésique. C’est le temps nécessaire à l’installation de l’anesthésie aux niveaux pulpaire et parodontal. Le pourcentage de patients pour lesquels les anesthésies intra-ligamentaires ont été considérées à succès est donc potentiellement biaisés puisque pour certains, le BNAI en est peut-être directement responsable.

Pour l’anesthésie intra-ligamentaire tout est clairement détaillé et réalisé selon les concepts classiques. La quantité de solution délivrée est plutôt cohérente. La délivrance d’une plus grande quantité de produit aurait pu permettre d’augmenter la durée de l’anesthésie et donc d’assurer son succès sur toute la durée de l’intervention dans un nombre encore plus élevé de cas, indépendamment du type de solution. Il est démontré que l’effet anesthésique se maintient plus longtemps avec les dispositifs électroniques qu’avec l’utilisation de simples seringues dites à intra-ligamentaires, justement en raison de la plus grande quantité de solution injectable.

Par contre aucune mention n’est faite de ou des opérateurs impliqués dans la réalisation des injections et de la procédure endodontique. L’efficacité de l’anesthésie dépendant de sa bonne réalisation technique, il eut été intéressant de préciser l’expérience de l’opérateur. Un praticien chevronné sera bien évidemment plus précis dans sa technique et plus serein quant à la gestion de son patient, ce qui peut nettement participer à une amélioration du succès obtenu.

Concernant les solutions injectées en intra-ligamentaire, le choix de concentration légèrement différentes de vasoconstricteurs paraît peut problématique ; L’important étant le recours aux vasoconstricteurs dans des concentrations fortes car cela va prolonger la durée de l’effet anesthésique.

D’après les conclusions de cette nouvelle étude l’anesthésie intra ligamentaire ne semble pas associée à une augmentation de fréquence cardiaque. Il n’existe cependant que peu d’études publiées sur le sujet, dont les protocoles ne sont pas forcément superposables, et relativement anciennes (1)(2), il faut donc modérer ces conclusions. Des effets systémiques pourraient être attendus si la solution anesthésiante pénètre le système circulatoire systémique.

 

Pour conclure, le recours à l’anesthésie intra-ligamentaire après un l’échec d’un BNAI en cas de pulpite irréversible sur molaire mandibulaire peut sembler intéressant selon les résultats obtenus par cette étude. Il corrobore ceux d’anciens travaux comme ceux de Cohen et collaborateurs en 1993 (3).

Cela s’explique par le fait que, au même titre que l’anesthésie ostéo centrale ou intra septale, elle permet un rapprochement entre le point d’injection et l’apex de la dent à traiter. Dans les cas de pulpite, c’est la diminution de cette distance qui accentue de façon très significative (exponentielle) la puissance de l’anesthésie.
Pour ce qui est du choix de la solution anesthésique, il ne semble pas exister de supériorité d’une solution sur une autre.

Le recours aux vasoconstricteurs est la règle, et il n’existe qu’une seule contre-indication : le phéochromocytome. D’autant plus que comme toute anesthésie intra osseuse, l’inconvénient reste la faible durée d’installation.

L’avantage de cette technique est qu’elle ne requiert pas de matériel encombrant.

On évitera cependant cette technique en cas de maladie parodontale car l’inflammation du parodonte entraine une augmentation de l’acidité qui va limiter l’action analgésique. Pour finir, elle est contre-indiquée chez des patients à risque Oslérien.

  1. 1.Smith GN, Pashley DH. Periodontal ligament injection : evaluation of systemic effects. Oral Surg Oral Med Oral Pathol. 1983 Dec;56(6):571-4.
  2. Pashley D. Systemic effects of intraligamental injections. J endod 1986 ;12(10) :501-504
  3. Cohen HP, Cha BY. et Sanberg LS. Endodontic anesthesia in mandibular molars : a clinical study. J Endod. 1993 ; 19 (7) : 370-3

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